Fin de l'excursion

Si tu vas un jour en Egypte, sache qu’il existe deux mots magiques dont on peut se servir quand la barrière de langue fait obstacle ou quand on veut simplement se faire des amis rapidement. Ces deux mots sont faciles à retenir et à prononcer bien que l’un d’entre eux finisse bientôt par tomber dans l’oubli, ils sont compris dans toute l’Egypte et bien au delà et pourront te servir également en Algérie,  au Maroc,  en Irak, en Palestine, au Zanzibar….(à éviter toutefois en Italie)
Je ne vais pas te laisser languir plus longtemps et te dévoiler ces mots que tu n’oublieras pas de noter sur les pages C et Z d’un petit répertoire facilement transportable. Chirac , Zidane, deux noms universels qui déclenchent des sourires et suscitent des félicitations malgré mon obstination à expliquer que je n’y suis pour rien, que je ne les connais pas personnellement et qu’aucun d’entre eux n’est mon voisin (bien que cela me soit arrivé de le faire croire).

28 janvier, le temple de Denderah

Après l’oasis de Dakhla, il semble logique de passer par Louxor, c’est d’ailleurs ce que nous avions prévu de faire, car la vallée des rois reste un site incontournable dans ce pays. Pourtant, à la veille du départ, nous décidons de boycotter purement et simplement cette destination pour plusieurs bonnes raisons.

Premièrement, nous refusons de financer et de cautionner la politique du gouvernement et de la ville de Louxor, qui à grand renfort de bulldozer détruit les maisons trop proches des sites touristiques afin de ne pas troubler ni épouvanter les touristes calfeutrés dans les bus climatisés. Trois cents familles (Et ce n’est qu’un début) pourtant installées depuis des générations se sont ainsi vu délogées et "demerdez vous, il suffit de quelques briques en terre pour vous reconstruire un abri"

Une méthode de nettoyage qui pourrait peut-être donner des idées au candidat de l’UMP ( échange bulldozer contre karsher) .
Après notre cure de quiétude, il nous semblait aussi bien difficile d’aller tenter le diable, car Louxor est surnommée « la capitale des rats » (Batteurs, coleurs, bat-joie) et l’idée de se battre à nouveau contre des malpolêtes (les malpolêtes sont des gens malpolis et malhonnêtes)  ne nous enchantait guère (Les anecdotes au sujet des arnaques et de la mauvaise foi des margoulins locaux sont nombreuses et décourageantes)

L’usine à fric est aussi l’autre appellation de Louxor, celui que lui donnent les égyptiens. Notre chemin s’oriente donc plus au nord pour une escale à Quena où se dresse un magnifique temple : celui de Denderah, dédié à Hathor la déesse de l’amour.

Cependant nous arrivons dans une région classée à risques. Il est impossible de se promener seuls sans escorte policière, nous essayons toutefois de passer à travers cette contrainte, mais nous sommes vites repérés et subissons plusieurs interrogatoires.

D’où vient-on ? Qui sommes nous ? pourquoi sommes nous là ? Où allons nous ? Que pense t-on de l’Egypte ? Aimons  nous Dalida ? Sait-on jouer de la cornemuse ? A t-on déjà mangé du ragondin ?

A vrai dire, ils sont aux petits soins avec nous, dévoués, aimables, serviables, voir même un peu lèche bottes (dans l’espoir d’un bon bakchich évidemment). Nous ne sommes pas habitués à autant de sollicitude de la part des représentants de la loi et finissons quand même par arriver au temple de Denderah après tout ces multiples contretemps.

Nous nous demandons parfois si nous ne sommes pas les seuls occidentaux en Egypte,  car encore une fois, hormis quelques égyptiens disséminés entre les pierres écroulées, nous bénéficions d’un monument rien que pour nous deux.

Je reste sur le cul (Par pudeur je  ne me permettrais pas de parler au nom de Stéphanie cette fois ci), face  à ce temple écrasant qui en l’espace d’une seconde me fait prendre conscience de l’importance de la civilisation égytienne. Plus que l’imposante silhouette de l’édifice, ce sont les dizaines de milliers de hiéroglyphes qui ornent chaque centimètre carré de pierre qui m’impressionnent le plus. J’exprimerais mon impression par l’oxymore suivante : il s’agit d’un travail monumentalement méticuleux.

temple

Deux  heures plus tard, les bus des tours operators arrivent en masse.  Les groupes courent derrière les guides pressés qui agitent des petits drapeaux de couleur différentes. Une italienne portant un masque de protection respiratoire court aux toilettes. Les commentaires, tel un bruit qui court, résonnent dans toutes les langues formant un brouhaha inaudible. Un bob s’envole, son propriétaire court après. Les appareils photos pris de court, flashent à tout va. Une américaine court un danger, elle se cogne la tête en haut de l’escalier. Et nous par les temps qui courent, on préfère mettre les voiles, toujours sous protection policière jusqu'à la station des microbus de Quena.

29 janvier, Hurghada, fuyons 

Nous avions également décidé de faire une escale sur le littoral de la mer rouge, histoire de finir ce voyage en beauté. Faute de temps, nous nous retrouvons comme des cons à Hurghada, alors qu’au départ nous visions plutôt des petits ports situés plus au sud.

En voyant cette ville, une soudaine envie de vomir me serre le ventre. Comme sortie d’un  "Bouygues volcan"  une immense coulée de béton  dégueule jusqu’au rivage, un flot discontinu de constructions anarchistes et hideuses s’agglutine le long de la plage avec une désinvolture choquante ; des milliards de tonne de ciment, recréent dans un lieu jadis paradisiaque, des parodies de Disneyland pour des capitalistes soviétiques bouffis.

hurghada

Hurghada n’est qu’un immense chantier de plusieurs dizaines de kilomètres de long où simplement quelques ouvriers s’affairent par ci, par là au rythme des travailleurs méditerranéens.
Il n’y a pas besoin de beaucoup de bon sens pour penser que tous les eaux usées générées par une telle ville champignon, ne finissent qu’à un seul et même endroit.
Pauvre mer rouge, pauvres poissons, pauvre corail, pauvre monde.

En ville, nous sommes un fois de plus la cible de toutes les convoitises mais forgés par les semaines précédentes, nous nous faisons arnaquer que trois ou quatre fois et arnaquons à notre tour plus d’un égyptien.
Se promener dans le bazar est comme déambuler dans un jeu vidéo, nous aimons cela,
écouter les boniments, tenter des réponses farfelues, esquiver la crapaudaille, les fallacieux ou les paltoquets, s’esquisser au dernier moment, prendre tout cela à la rigolade, ne froisser personne, s’amuser de ce contact qui par certains cotés me rappellent mes conditions de travail.

Comment savent-ils que nous sommes français ? ça se voit tant que cela ? c’est clair qu’on ne ressemble pas à des russes, mais nous pourrions être suisses, belges, canadiens, luxembourgeois, espagnols, andorriens….
Ils ont réponse à tout, ils parlent toutes les langues, en plus ils ont de l’humour.
-Par ici monsieur, c’est moins cher que Leclerc !
-La différence entre une petite fille et une grande fille ? je la connais on me l’a déjà demandé trois fois !
-Pardon monsieur, lâche moi les baskets, ça veut dire quoi ?
-Non merci, j’en veut pas de votre faux safran, de votre origan poussiéreux, de votre karkadé hors de prix, de votre poivre plein de colorants, de vos racines de papyrus contre la toux ou de votre cannelle éventée qui traîne ici depuis je ne sais quand.

Le lendemain, malgré le vent et le froid, nous embarquons à bord d’un bateau spécialisé dans l’acheminement des touristes sur les sites de plongée.
Lors de l’inscription, je m’inquiétais un peu sur la température de l’eau, pour nous vendre sa sortie le gars de l’agence nous rassure en nous affirmant qu’elle est à 25°.
Au matin avant de partir, le même gars nous dit que l’eau est glaciale et que l’on doit prendre des combinaisons, forcément non incluses dans le prix.

Nous ne nous laissons pas berner et le chauffeur avec qui nous avions rendez vous à huit heures du matin vient nous chercher à dix heures, c’est ce qu’ils appellent l’egyptian time.
Bref….
Nous sommes seulement huit courageux à bord.
Je me jette à l’eau en établissant mon propre diagnostic , l’eau n’est ni trop chaude, ni trop froide, supportable quoi !
Brassé par le roulis je tente tant bien que mal d’admirer les récifs coralliens et les splendides poissons qui les habitent.
Deux tasses et sept piqûres de méduses plus tard, je remonte à bord reprendre mon souffle et maugréer contre les petits désagréments de la journée qui gâchent quelque peu cette sortie en mer.
Je m’assois à coté de l’un des jeunes membres de l’équipage.
-Tu vois mon ami, la mer c’est ma vie, c’est mon travail, j’aime ce travail, me dit-il en jetant son paquet de cigarettes à l’eau.
Je me fâche pour de bon en lui disant qu’il est stupide, que son geste n’a aucun sens, qu’il peut très bien utiliser la  poubelle qui est à bord, que si tout le monde fait comme lui les vacanciers ne viendront plus et qu’il n’aura plus de travail. Je lui ordonne sans succès de se jeter à l’eau pour rattraper sa merde.
Il me regarde en souriant, se demandant si je suis sérieux ou si je plaisante, il me répond :
-La mer c’est notre poubelle !
je suis désespéré, je lui tire l’oreille en lui demandant  de ne jamais recommencer et ponctuant mon geste d’un clin d’œil je rajoute :
Next time, rubbish !!
J’ai le sentiment qu’il a compris, je ne serais pas allé à Hurghada pour rien.

mer

30 janvier, message aux moutons

Allez à Hurghada,  allez y par milliers, par dizaines de milliers, allez y en charters entiers, en bus privé, en concorde si vous le pouvez ! Allez vous entasser sur des plages privées, allez piétiner de vos sandales le corail déjà contusionné,  allez remplir les camps de concentrations que l’on a construit au bord de la mer blessée, allez retrouver vos compatriotes dans des clubs fermés, allez voir le beau décor bétonné, allez frimer avec vos lunettes de soleil contrefaçonnées, allez dépenser vos euros, vos dollars, vos roubles dignement gagnés, allez vous goinfrer dans des pizzerias aseptisées, vous trémoussez dans des discothèques sélectionnées, vous congratuler dans des soirées guindées, allez pourrir un peu plus cette ville déjà morte, allez polluer davantage cette mer rouge du sang de la terre écorchée, allez apporter votre pierre à l’édifice pour qu’il s’écroule le plus vite possible, oui, allez y tous et laissez moi les criques désertées, les plages abandonnées, les coraux immaculés, les paradis jamais répertoriés, je n’ai que faire de vos parasols et de vos palmiers en pots, de vos transats et de vos glaces chimiques, de vos bonnes manières et de vos vacances livrées en kit, l’odeur des frites décongelées et du poisson pané, très peu pour moi.

Et si tu ne te sens pas visé c’est qu’on est un peu du même monde.