Telemark- Norvège

Mercredi 19 mai

Mon carnet de bord est muet concernant ce début de journée.  Mais bonne nouvelle, après Udevalla , il est possible de faire notre plein de diesel qui absorbe la plus grande partie de nos KS. Je range le reste dans une enveloppe pour une éventuelle autre fois. Puis nous cherchons une autre banque, Norvégienne celle-là, en regrettant que ces opérations de monnaies nous occupent à plein temps. Quelques tunnels sur cette route qui rejoint Drammen, puis un tronçon à péage. Après Kongsberg une profusion de bouleaux décorent notre itinéraire. Des bouleaux énormes, touffus, rien que des bouleaux aux troncs blancs si décoratifs dans nos jardins et si fragiles, dans nos climats. Il y a pourtant un sapin égaré ici, il pousse sur le toit de l’abri routier, utile aux pêcheurs et aux voyageurs.

Abri routier

Nous décidons dès aujourd’hui de tracer notre itinéraire au jour le jour  et pour l’instant de visiter le Télémark, région centre sud de la Norvège où sont conservés de nombreux vestiges de la vie au moyen âge et même avant . Villages, églises en bois debout etc.….
En fin de journée, on fait une pause au camping Holman, situé au bord du cours d’eau Lägen, occupé presque exclusivement par des pêcheurs et quelques voyageurs de passage. Nous visitons les sentiers au milieu des bouleaux et les cabanes de bois,  sans voir âme qui vive, c’est que la saison n’est pas si favorable que ça, pour la vie en  plein air. On ne s’habituera jamais à cette solitude dans laquelle les gens vivent, à l’intérieur des maisons, dont les cheminées ne fument même pas.

Jeudi 20 mai

C’est l’ascension aujourd’hui !…Attention aux magasins fermés sans aucune exception ! il ne faut avoir besoin de rien ce jour-là, idem pour le week end . Il nous arrive de nous faire piéger, ce sont des journées impossibles à vivre.
A 8 heures 45 soleil radieux dans un ciel pur, mais 7 degrés seulement. Il faut s’habituer, car ce pourrait être pire.Ca le sera avant bien longtemps.
La première d’une longue série, on va visiter l’église de Nore, la starvkirke en bois debout, dont la silhouette noire nous apparaît au milieu d’une prairie et d’un cimetière. Sur le portique d’entrée il est spécifié, en français, que la porte est fermée, on est priés de ne pas embêter les voisins pour avoir la clé, » car ils ne l’ont pas «. Dommage, cette désinvolture qui va se renouveler souvent…à nous de nous habituer. 
Regrets de ne pouvoir pénétrer à l’intérieur qui possède de belles fresques, d’après notre guide. Nous reviendrons plus tard….peut-être !

Le village de Nore, est composé d’une dizaine de maisons de bois . L’église moderne est éclatante de blancheur. Sa silhouette rappelle étrangement celle de la vieille stavkirke, il nous semble que l’architecte a manqué d’inspiration.

Eglise de Nore

Le Télémark , province du sud a conservé 28 églises en bois debout, rescapées du moyen âge, il y en avait 750 à l’origine . Edifiées au 11 et 12me siècle, elles sont l’objet de soins attentifs et sont protégées par l’Unesco.
L’art de bâtir en bois avait atteint vers le 10me siècle, grâce à la construction des bateaux de vikings un haut degré d’évolution. Il parvient à son apogée avec ces églises en bois debout . Utilisant la matière première, fournie en abondance par les nombreuses forêts , les Norvégiens ont de tous temps  préféré ce matériau pour construire les monuments et leurs maisons. Ce qui explique la rareté de ces monuments vulnérables aux intempéries  et aux guerres qui ont de tous temps ravagé le pays.

Ainsi Bidgetown Uvdal dont le nom signifie, le vieux village de Uvdal. Les pilotis permettent aux maisons de rattraper le niveau tout en constituant une isolation contre l’humidité du sol. Les toits couverts d’herbe protègent aussi du froid extérieur. Il y a seulement quelques maisons isolées, qui peut-être sont encore habitées .

L’église en bois debout  est en restauration  et disparaît sous les échafaudages . Une très vieille construction sur pilotis, noire et massive nous intrigue, ce serait un ancien magasin de viking des années 1000. Il en reste très peu dans le pays, celui-ci est propriété privée et à ce titre on ne peut le visiter.

Eglise en bois

Il nous arrive de revenir sur nos pas pour voir une stavkirke omise au départ , ainsi pour Flesberg, prestigieuse et isolée qui apporte une note insolite au paysage déjà sévère de la Norvège du centre.

A  Rollag , se continue notre série d’églises gratte ciel , aux toits pentus coiffés de dragons redoutables, voisinant avec des croix . Sur les parois, sont sculptées des dentelles de bois, une date qui doit être celle de la restauration et souvent le sigle JHS qui authentifie la religion chrétienne implantée dans le pays depuis si longtemps. Au cimetière une énorme croix de viking grossièrement taillée dans un bloc de pierre et sur une tombe un œuf géant  qui est peut-être une allégorie du renouveau de la vie après la mort.

En s’élevant dans la montagne 200 mètres à peine, le climat et le paysage changent radicalement , les sommets  environnants sont sans végétation, sans arbre, on pourrait croire sans âme, l’horizon est glacé. Tout est noir et sévère, nul chemin pour se rendre à quelques maisons surgies de  nulle part. Le long de notre route coulent parfois des eaux profondes, noires elles aussi puis glacées . Plus loin les cascades se sont transformées en glaces et ont façonné au sol des jardins de fleurs de stalagmites, c’est joli, froid, On est a 1100 mètres d’altitude seulement, mais c’est déjà le grand nord.

Sur l’autre versant, on est redescendus dans la vallée fleurie de pommiers roses alignés sur des pentes ensoleillées et riantes. Quel drôle de pays ! On ne peut imaginer une pareille différence de climat en si peu de chemin. C’est très encourageant , cette coupure permet de supporter les pires rigueurs.

Etranges monuments à la silhouette noire, les églises ponctuent notre itinéraire. Voici Torpo où la belle saison semble arrivée. Torpo dédiée à sainte Marguerite disparaissait sous les échafaudages en 1996 lors de notre précédent voyage. Aujourd’hui le toit en lauzes nuancées couvre cet ensemble harmonieux , l’un des plus anciens du pays.

Etranges bâtiments

Il suffit de monter quelques centaines de mètres dans la montagne, pour découvrir  à nouveau, une surface déserte, lunaire, entrecoupée de lacs gelés, sans arbres, sans maison, avec la trace d’un voyageur invisible sur le lac , motoneige ou scooter des neiges. Comment peut-on vivre dans un pareil climat ?

En poursuivant notre route, Borgund surgit tout à coup . Située entre deux collines verdoyantes la belle stavkirke de Borgund fut édifiée en 1150. Avec sa superposition  de toits en écailles ornés de dragons redoutables elle a l’air d’une pagode. C’est la plus intéressante que nous ayons vue avec celle de Heddal que nous avons visitée en 1996. Munis du dépliant, en français que la guichetière me tend spontanément nous visitons l’intérieur d’origine, où courent les croisillons de bois sculpté formant des galeries à l’usage des femmes.  Il y a peu d’ouvertures, sans doute à cause du climat rigoureux. Seuls quelques trous ronds servent d’aération. Dans le coin droit se tient la chaire. Les voûtes vertigineuses évoquent un bateau de viking renversé. L’autel décoré d’une peinture naïve représentant la crucifixion, nous impressionne, tout comme cette religion venue tout droit du début des âges, jusqu’à nous, à peu près intacte.

De somptueuses sculptures florales encadrent la porte d’entrée et créent un tympan remarquable d’harmonie.

voûtes

On ose flâner dans la galerie noire du goudron protecteur, telle un cloître elle court tout autour de l’édifice. C’est là que les lépreux assistaient aux offices et recevaient la communion, évitant ainsi aux autres fidèles la contagion de leur maladie.

On jette un dernier regard à la superposition  si harmonieuse des toits, au clocher séparé, sans porte d’entrée, dont la cloche millénaire sonne toujours les matines, puis on va vers d’autres paysages.
Et l’on rencontre la première cascade. Elle dévale en trombe depuis le haut de la montagne, tonitruante, irisée d’arc en ciel, due à la fonte des neiges et des glaciers. Puis c’est Laerdal, où l’on flâne dans le quartier où subsistent d’anciennes maisons de bois minutieusement restaurées. Il fait bon errer sans but précis dans les rues aux façades décorées de balcons ouvragés. Les couleurs pastel en camaïeu de gris, de beige où le blanc domine en force, créent une belle harmonie. La « clinique soleil «  déploie son enseigne, en français, ce qui nous étonne dans ce pays aux accents plutôt germaniques.

quartier

  Au bout de l’avenue trône l’hôtel Lindstron tout décoré de dentelle de bois, cerné de balcons travaillés comme de vieux ivoires. Il a beaucoup d’allure et arbore au milieu de la pelouse le drapeau triangulaire de la Norvège.

Et maintenant, croisière ou pas, il faut traverser le fjord, de toutes façons, pour suivre notre route sur l’autre rive. Ainsi à bord du ferry Laerdal-Songda, nous naviguons sur le Sognefjord le plus grand fjord de Norvège. Nous voulons visiter Urnes où s’élève la plus ancienne stavkirke du pays.

Le village de Urnes est composé de trois ou quatre maisons habitées, mais semblant désertes. Ainsi est tout le pays. Territoire immense, occupé par dix habitants  au kilomètres carré, si discrets qu’on ne les voit jamais, même au travers des jolis rideaux de leur maison. L’église est édifiée en haut de la montagne, on l’atteint en fin de journée. Mais les portes sont fermées et ne s ‘ouvrent qu’en période touristique, c’est à dire à la mi-juin et peut-être plus tard encore . On admire donc l’extérieur depuis le cimetière qui l’entoure et les prés qui dominent l’ensemble. Tout en bas coule le fjord et l’on a sous les yeux de bucoliques paysages où le printemps semble arrivé…à tâtons.

Edifiée en 1030, ce serait donc la plus ancienne stavkirke du pays. Les portes ont des ferrures impressionnantes, et des loquets que le temps n’a pas usés. On tourne autour de l’église afin de découvrir des dates, c’est alors que l’on  peut admirer des festons et entrelacs de bois qui ornent les parois noires de goudron. Ces sculptures uniques ont donné leur nom au style de Urnes. Nous restons longtemps à nous enthousiasmer à filmer et photographier, pour garder en mémoire ce chef d’œuvre, puis il faut partir.