Urfa

Vendredi 11 Mai

Station de Pétrol Ofisi à Tatvan
camping-car de Lucie et JeanCe matin je suis prête à partir, c’est long un homme qui se rase !…Alors je pars faire des photos. A côté de notre véhicule un minibus s’est installé et la devise «  Allah korusun » décore son pare brise. Le notre porte simplement Detleff du nom de son constructeur. Je trouve marrant de les photographier côte à côte, histoire de mettre en évidence nos différences, mais aussi la possibilité de vivre côte à côte, paisiblement.

Nous prenons la route vers Biltis, qui va nous permettre de faire un crochet sur Batman et les petites villes du sud, vers la Syrie.

Je crois bien qu’on n’est pas prêts d’oublier Biltis ville très ancienne qui eut son heure de gloire à l’époque byzantine. La ville est lovée dans une gorge profonde, cernée par une rivière qui hélas sert de dépotoir .On déambule à pieds dans des ruelles, où passe une circulation pourtant impossible. Une animation folle, nous oblige à marcher sur les trottoirs où sont installés les hommes sur de petits tabourets en train de siroter leur thé, dans une ambiance indescriptible.  On joint le château à peu près démoli d’où la vue sur la ville est très panoramique. Tout est marron foncé ici, évocateur des toilettes qui se déversent dans la rue, répandant une odeur épouvantable. Il y a un joli pont où les ordures s’amoncellent. Mais reste une cerise sur ce gâteau pourri, la cour de récréation de l’école où les élèves jouent, tous vêtus d’une blouse bleue à col blanc. Des petites filles viennent prendre la pose en souriant et la maîtresse d’école nous fait des signes d’amitié. Bon ! il reste un peu d’espoir dans cet univers décourageant...école turque

Après Bitlis les routes se dégradent, les trous se multiplient, mais les paysages sont très beaux. On passe Batman, ville moderne et filons sur Hasankeyf, délicieuse petite cité sur le Tigre, habitée depuis la haute Antiquité, il y aurait 4000 ou 6000 ans au moins. Deux galopins nous attendent près du Turbe de l’entrée, tout décoré de faïences bleues.  Son dôme en forme d’oignon serait unique en Turquie .Les gosses utilisent une technique imparable, ils nous offrent des fleurs des champs ,en baragouinant je ne sais quoi. Je leur donne une sucette à chacun, du coup ils ne veulent plus nous quitter. De l’autre côté du Tigre la vieille ville abrite l’endroit où la falaise tombe à pic dans le fleuve mythique. De là partent des  escaliers taillés dans le roc d’où l’on peut joindre la citadelle des XII et XIIIme siècle où l’on trouve les ruines d’un village troglodytique, d’un château et d’un cimetière rupestre.ville de Bitlis

Un pont métallique enjambe le Tigre, il remplace le vieux pont du XIIme siècle dont seuls les piliers et deux arches subsistent. De cet endroit, la vue sur la falaise trouée, sur le vieux village et les sites  est incomparable. Au bord du Tigre, d’énormes troupeaux de moutons viennent se faire tondre et les bergères lavent leur laine.

Mais le revers de la médaille existe : Hasankeyf n’a plus que quelques années à vivre, car les eaux d’un barrage  qui doit être construit avant 2010 vont noyer ce site incroyable. Nous ne  pouvons pas croire à un pareil désastre pourtant réel. J’espère que les économistes vont réfléchir à deux fois avant de provoquer un pareil désastre. Pourtant,  nous sommes pessimistes car, le matériel, les montagnes de gravier et ciment qui doivent servir à l’édification du barrage d’Illisu sont en place, envers et contre tous et surtout les 5000 habitants d’Hazankeyf .Dommage ! Mille fois dommage !

Après de longues heures de visite, nous prenons nos quartiers à la station service, juste à la sortie de la ville. Ainsi se termine cette journée du 11  Mai. Repos bien mérité.

Samedi 12 Mai

Aire de service sortie de Hasankeyf
Il a plu toute la nuit et  ce matin tout est en boue et flaques d’eau, je fais des photos de l’énorme falaise au pied de laquelle la ville s’abrite. 0n y voit une multitude de trous destinés à de nombreux usages. Granges bergeries au rez de chaussée, quelques habitations et un cimetière... Quittons Hasankief pour Mydiat par une route où des travailleurs restaurent le goudron sur des dizaines de kilomètres. De vieux souvenirs de tôle ondulée reviennent à notre mémoire. Nous cherchons la direction du Monastère de Mar Gabriel à 18 kilomètres de Mydiat, trouvé après de nombreuses interventions de gens qui nous renseignent de bonne grâce. Il est vraiment perdu au milieu d’une plaine aride et aurait subi de nombreuses restaurations depuis sa première construction à l’IVme siècle. On l’aborde par un grand portail coupant un grand mur bâti pour protéger les communautés chrétiennes, jusqu’à une très récente période. le Monastère de Mar Gabriel Les sculptures de caractères islamique voisinent avec des croix., orientées vers tous les horizons et, malgré le style incertain l’ensemble est de toute beauté. Un jeune diacre Néerlandais nous aborde, il nous dit être de religion chrétienne syriaque, être venu ici chercher la paix, mais vouloir rentrer chez lui en Hollande dès que possible. On assiste à un office sans y comprendre goutte, on fait le tour du cloître minutieusement restauré, puis on quitte les lieux saints. Près du mur extérieur, un jeune moine laboure un champ avec une araire tirée par un âne, on se croirait retournés au moyen âge On retourne à Midyat où la visite se révèle être pénible pour nos jambes de plus de vingt ans.

Cette ville si vieille dut être très belle mais pour atteindre les rues haut perchées on doit prendre des escaliers aux marches hautes et inégales. Les maisons y sont  décrépites mais on y voit des restes de sculptures et des arches qui s’effondrent, témoins d’un passé plus prestigieux. On visite deux églises cadenassées où les enfants jouent en réclamant « monnaie » à cor et à cris. Personne ici, sauf la désolation dans ce quartier Arménien, tandis que la mosquée est pleine à craquer de gens que les bus déversent jusque devant la porte. Je vide mes poches des derniers bonbons, pour les enfants insatisfaits et nous rejoignons le camion pour ailleurs.mosquée

Mardin est aussi une ville superbe bien conservée malgré son grand âge et bâtie toute en hauteur .On grimpe par des rues à pic et devrons renoncer bientôt à cette promenade trop sportive. On a le temps de voir quelques belles façades et de filmer par dessus les toits le joli clocher de cette autre église fermée elle aussi. Le macaron bleu aux douze étoiles annonce qu’elle a été restaurée par la communauté Européenne, en plusieurs langues dont le Français. Le souffle coupé par cette montée si raide, la descente est vertigineuse. On est tout heureux de retrouver nos appartements presque douillets. Puis on s’en va vers Diyarbakir.

On s’arrête sur une station à 30 kilomètres de Mardin environ.

Dimanche 13 Mai

Station après Mardin
7 heures, on est prêts à partir sur cette route en mauvais état et on rejoint Diyarbakir dans la matinée.
On installe le camping car près de la citadelle d’où l’on peut rayonner d’après notre plan. Les remparts de basalte noir, seraient les plus longs du monde après la muraille de Chine, désormais bordés de jardins d’enfants ils  offrent une halte reposante. On part à la découverte de la ville, mais le manque de panneaux indicateurs, la hauteur des trottoirs, les trous, les marches de même couleur que l’on ne voit que lorsqu’on s’est cassé la figure, les klaxons des voitures lancées à fond  la caisse, le harcèlement des enfants, les «  what your name »et les « where do you from »répétés à l’infini, nous usent les nerfs jusqu’à la corde. On tente de voir Meryemana église Syriaque cadenassée, on court alors vers l’Ullu Camii, vue il y a 20 ans et mal restituée par nos souvenirs. Evidemment comparée aux Omeyades de Damas elle ne soutient pas la comparaison, mais on s’y attarde. Entrons puisque c’est permis ! Je mets le foulard d’Erzurum et quitte mes chaussures, puis on marche sur une mosaïque de tapis moelleux  tissés de colonnes, toutes différentes. Dans la cour aux ablutions j’évite de justesse un crachat qui m’étais destiné…Pourquoi ? Diyarbakir On traverse de part en part le souk et admirons les mats sur lesquels sont présentées les chaussures du sol au plafond, on respire l’odeur enivrante des épices colorés et admirons les tissus bariolés incrustés de fils d’argent.  Dans le brouhaha de la rue un homme dort sur une charrette calée à l’arrêt par un gros caillou, des hordes d’enfants envahissent les magasins, car c’est Dimanche et que faire d’autre ! …. Au jardin près des remparts on dirait une fourmilière tant ils sont nombreux.

On sort de la ville par la porte Mardin pour voir un joli pont du XIme siècle qui enjambe le Tigre, construit en gros bloc de basalte, il comporte dix arches de portées inégales. C’est sur cette image de ce grandiose monument  que nous quitterons Diyarbakir pour d’autres petites aventures.

Nous cherchons la route de Silverek que personne ne connaît avant de nous apercevoir que c’est aussi celle de Urfa destination plus connue.Nous venons de projeter l’ascension du Nemrut Dag et la traversée de l’Euphrate, si celle ci est possible. Bien que le « feribot » soit marqué sur la carte, on voudrait savoir s’il transborde aussi les voitures. ferryNous souvenant d’une traversée épique sur une barque pourrie en 1986 on voudrait éviter une autre aventure de ce genre. On cherche la gendarmerie de Silverek pour se renseigner, la caserne est en émoi, nous posons une question à laquelle ils ne peuvent répondre et d’ailleurs la comprennent-ils vraiment. ? Et me suis je bien exprimée dans mon Anglais de pacotille. ? Tout marche dans cette gendarmerie de tous jeunes gendarmes : le téléphone, Internet, le téléphone arabe, aussi, chacun donne ce qu’il sait, il y a de l’ambiance ici. On n’a pas le temps de prendre le thé préparé pour nous, puis…On a l’information et même les horaires du « feribot ». On doit se rendre à Bucak, le plan  du trajet est dessiné sur mon cahier par un gendarme qui, nous accompagne, mais nous apprenons qu’il y a 30 kilomètres, comment va  t’il revenir ? On réussit à le dissuader de venir plus loin et nous nous quittons après qu’il nous ait fait des recommandations. Je lui donne des bonbons et lui fait une bise en disant « maman » Voilà !

On roule donc vers Bucak notre lieu d’embarquement, il pleut comme jamais et Jeannot a perdu ses lunettes. Quelle journée !

On arrive à l’embarcadère, par une belle route d’où on  aperçoit  entre les montagnes de velours vert le bel Euphrate. On filme les derniers ferries de la journée, demain matin c’est notre tour.

Sans problème nous dit le capitaine ; A demain donc !

Et on dort à l’embarcadère. Mais pas tout de suite, il faut faire visiter notre house que chacun trouve « çok güzel ». Des passagers venant du Nemrut Dag nous informent, tout en gestes, du climat là haut. Il semble qu’il pleuve à torrents. Ici, ce n’est guère mieux, on campe dans la boue et la pluie ne cesse pas de la nuit. Au matin on a une petite accalmie, puis rebelote.

Lundi 14 Mai

Embarcadère de Buçak pour…en principe le Nemrut Dag.
Eveillée depuis 3 heures ce matin, j’évoque ce qu’on va pouvoir faire, si le temps ne s’améliore pas. Pourris, les nuages pleurent toutes les larmes du ciel bas et gris. On est déçus et désolés. J’enrage ! Peu après 6 heures sont arrivés des pêcheurs qui ont embarqué sur un canot amarré derrière la locanta bleue. Assez tôt des véhicules ont déchargé leur plein de femmes et d’enfants. Nous sommes prêts mais ne partirons qu’à 9 heures 30. Il pleut toujours, l’avenir s’annonce…mouillé. Peut être devrions nous modifier notre itinéraire, sous peine de perdre  notre temps, à ne rien voir et à se tremper. Le bateau arrive à l’heure dite, les bus, les dolmüs se placent, puis c’est à notre tour, on ignore le prix de notre traversée .Les passagers montent à l’étage, nous restons sur place pour régler les 15 LT ce qui n’est pas exagéré. Photos et vidéo de l’embarcadère, du ferry et du fleuve traversé il y a 20 ans dans des conditions épiques et inoubliables à bord d’une barque pourrie.

Le trajet est somptueux, confortable et …court. La route sur laquelle on débarque l’est moins, on ne peut éviter les trous rafistolés avec du sable et du goudron, à la manière turque,  sur lesquels on saute à grand fracas. Les petits villages Kurdes traversés ont bien changé depuis notre dernière visite. Le nombre d’ötels et de pansyions  est incalculable, ainsi que les arrêts invitation à demeurer chez eux, ainsi que les campings où il est impossible d’accéder. Il y a peu de tourisme en ce moment de l’année, peut être est ce la même chose le reste du temps, compte tenu du prix des carburants et des prix en général qui, réajustés sont moins attractifs.statues de dieux grecs Les tours opérateurs sont quand même fidèles, mais ceux là choisissent plutôt les hôtels à étoiles multiples.

La route empierrée est bruyante mais possible, même à la traversée des barres de ralentissement. L’arrivée est à pic, on se gare avec les dolmüs, en serrant les freins, mettant les vitesses et les cailloux, devant et derrière les roues, car le dévers est de tous cotés. Bon ! On est comme des mouches sur un mur et pour se tenir debout il faut se cramponner d’une main. De l’autre je prépare deux tartines au pâté et une pomme, car on ne peut faire l’ascension le ventre vide. Belle situation ! Je n’avais jamais connu la pareille. Et nous voilà partis voir les dieux Grecs. Les gens descendent la montagne complètement harassés et bien que l’on sache à quoi on s’expose, on n’est pas rassurés du tout,  nous grimpons imperturbables. Le sentier dans les cailloux qui rejoignait le site auparavant est devenu, escalier de rocs pointus et inégaux qu’il ne faut pas quitter des yeux pour éviter des chutes. Bien à propos  des bancs de bois sont là, que l’on emprunte pour admirer le paysage et souffler un peu, sans en avoir l’air. La grimpette est longue, plus personne ne monte après nous, on ferme la marche de la matinée en quelque sorte . Ce sera bien pour la visite du site.

L’escalier nous mène à la terrasse ouest, où on accède à l’arrière des  statues et ce point de  vue inhabituel est très original. On est chaque fois impressionnés par le gigantisme de ces têtes tombées on ne sait d’où, la perfection de leurs traits et l’expression immuable de ces visages plantés là depuis combien de temps ? Le site est protégé maintenant par une chaîne.  «  not climb » est il signalé, mais on climbe quand même pour les approcher. La disposition a été changée because «  Nemrut, historic monument » et les explorateurs ont remanié l’histoire pour qu’elle soit plus plausible, faut il le regretter ? On contourne le tumulus, tombeau de Antiochos 1er qui fut roi de la province de Commagène vers l’an 30 ou 60 avant JC. e tumulus, tombeau de Antiochos 1er

Pour accéder à la terrasse Est. Les énormes têtes tombées à terre lors de séismes ont été redressées et mises face aux personnages gigantesques assis. Lions et aigles qui devaient garder l’entrée d’un temple, occupent un autre espace eux aussi, pendant qu’un autre lion au profil redoutable garde l’autel à incinération.

Tout en bas, dans le lointain s’étendent les vallées verdoyantes de la Commagène fertilisées par l’Euphrate dont on voit un méandre. La descente est presque aussi dure et aboutit directement dans les bazars où j’achète un livre d’images du Nemrut Dag  et deux têtes en pierre de Zeus et d’Apollon.. On retire les pierres cales, les freins et les vitesses, puis c’est le départ vers Khata, pour une prochaine destination non connue pour l’instant.

On dort sur une station Opet toute neuve avant Adiyaman.