Ballade Cyclobalkanique

Interview de Julien Leblay

Julien Leblay a publié, en 2006, le livre « Ballade Cyclobalkanique », qui retrace sa traversée de l’ex Yougoslavie en solitaire et en vélo, pour promouvoir le don du sang.

(Mai 2008)

Entretien avec Julien LeblayLa Slovénie avait été le coup de cœur du Tour d'Europe vélo-moto effectué par Julien Leblay en 2004. Il y est retourné en 2006 pour en savoir plus. Pays trop petit, l'itinéraire du périple s'est élargi à quatre autres territoires de l'ex-Yougoslavie (Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie et Monténégro). Sa mission reste identique à celle de ses périples précédents : promouvoir le don du sang. En deux mois et demi, notre voyageur au grand cœur va parcourir 5300 kilomètres...

Avant de me rendre dans ces pays, on m'avait mis en garde de ne surtout pas parler de la guerre avec les gens, que c'était un sujet tabou. Vous êtes le président de « Voyageurs au grand cœur ». Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre association ? L’association des voyageurs au grand cœur a été créée en janvier 2004 avec mon ami Fabien Leszczynski. Notre but était de promouvoir le don du sang et la place des deux roues sur la route en effectuant un tour d’Europe vélo moto (moi à vélo et Fabien en moto). Ce premier voyage a été une grande réussite, avec l’organisation de grandes collectes de sang. De plus, cela avait permis de montrer que l’on peut rouler vite (moto) ou plus doucement (vélo), on peut quand même se partager la route et effectuer 5400 kilomètres ensemble en un mois. Ce voyage a été reconnu par le livre des records et m’a donné envie de poursuivre l’aventure. D’un tour d’Europe est né un tour du monde, par étape. Le site internet http://voyage-grand-coeur.org est la vitrine de cette association. Durant les voyages il est mis à jour très régulièrement, richement fourni par des milliers de photos et de nombreux récits.

Vous avez traversé cinq territoires de l’Europe de l’Est et fait plus de 5000 km en vélo. C’est assez singulier. D’où vous viennent cette force, ce dynamisme et cette soif de découverte ? Tout n’est qu’une question de mental, de volonté. Je me considère bien plus comme un voyageur que comme un sportif. Mettez moi dans un peloton de cyclistes et vous me retrouvez largué au premier virage ! Mais mettez un cycliste à mes côtés, et il aura grand mal à me suivre, dans les déserts, le sable, les chemins, avec le confort rudimentaire qu’entraîne ce mode de voyage. J’ai débuté le vélo en 1998, j’avais alors 17 ans. Je venais d’avoir un grave accident. Au volant d’un tracteur, je bascule dans un ravin et suis éjecté. Les deux poumons explosés, je resterai deux jours dans le coma puis deux semaines en soins intensifs de réanimation. Je m’en sors avec quelques séquelles, et surtout une très faible capacité respiratoire. Le vélo est alors apparu comme un excellent moyen de développer cette dernière. J’ai alors commencé à voyager un peu en France, pour rendre visite à mes amis en Aveyron, Lozère ou Ardèche. Du Massif Central je suis passé à l’Europe, de l’Europe à la Nouvelle-Zélande, puis à l’ex-Yougoslavie pour une balade cyclobalkanique ! Cet accident a été un point de repère capital dans ma vie, qui m’a notamment fait prendre conscience que nous ne sommes rien dans ce grand monde, tellement vulnérable. Et alors si tout doit se terminer demain, je souhaite avoir profité au maximum de ce qui s’offre à moi jusque là. Et découvrir ainsi le monde à vélo est devenu une obsession, mais aussi un mode de vie… avant la mort !

Ballade CyclobalkaniqueVous écrivez dans votre livre « L’important message du don du sang, geste de solidarité par excellence prend tout son sens dans cette partie du monde… ». Pourriez-vous commenter cette phrase ? L’ex Yougoslavie a été frappée par la guerre d’une manière effroyable. Le dernier génocide européen s’est déroulé à Srebrenica en juillet 1995 où 8 000 hommes musulmans ont été assassinés par l’armée serbe en seulement trois jours. Avant de me rendre dans ces pays, on m’avait mis en garde de ne surtout pas parler de la guerre avec les gens, que c’était un sujet tabou. Une fois sur place je me suis rendu compte qu’au contraire, la guerre revient dans toutes les bouches, dans toutes les discussions, que c’est un point de repère pour tous ces gens vivant sur place. A Sarajevo, une personne a refusé de m’aider à faire la promotion du don du sang en disant justement que le sang était un sujet tabou, qu’il avait trop coulé sur ces terres pour avoir encore à en parler. Mais un peu plus loin, à Banja Luka (Bosnie toujours), un responsable de don du sang était ravi de ce projet. Orthodoxe et donneur de sang, il disait avec fierté que peu lui importait à qui allait son sang, orthodoxe, musulman ou catholique. Le sang, symbole de la fraternité, lien entre les peuples et les religions.

Vous avez traversé la Croatie : vous parlez de ses « terrains minés », ce qui n’est pas très rassurant. Puis, plus loin, vous évoquez le « tourisme de masse » de son littoral. D’un côté, on perçoit ce pays comme étant dangereux puis de l’autre il nous paraît attractif, parfait pour y passer des vacances à la mer. Quelle est l’idée que vous vous faites de ce pays exactement ? La Croatie est un pays de contrastes. De chez nous, de notre Europe occidentale, nous avons cette image de la côte adriatique, haut lieu du tourisme balnéaire, qui était à la mode il y a encore peu de temps. Mais lorsque l’on quitte les circuits touristiques, lorsque l’on pénètre dans les pays, ne serait-ce que d’un petit kilomètre, on se retrouve dans des terrains minés et des villages détruits, maisons éventrées par les obus, sans toit ni fenêtre… Ce pays n’est cependant pas dangereux. Il s’agit simplement de ne pas sortir des routes, de ne pas s’aventurer sur des chemins de terre et encore moins dans des prairies aux herbes folles. Mais il faut aussi sortir de cette côte « adriatouristique » pour découvrir le pays, le vrai, celui qui tente d’effacer les traces de la guerre pour rentrer dans l'Union Européenne, qui vit tous les jours avec des ruines et des mines antipersonnelles. Alors, vous aurez sûrement la chance de rencontrer des croates qui vous inviterons à boire une bière en vous racontant leur vie, leur pays, la guerre, leur vision de l’avenir… Ils vous inviteront alors chez eux, pour discuter encore et encore. Ce voyage dans les Balkans m’a tellement appris, car les gens sont des passionnés et leurs discours valent bien plus que n’importe quel livre d’Histoire.

Pouvez-vous nous dire quels ont été vos plus beaux souvenirs dans chacun de ces pays ? Il n’est pas facile de répondre à cette question tant les bons souvenirs sont nombreux ! De la Slovénie, je retiendrai cependant une campagne très verte et paisible et des gens très respectueux, à la fois des cyclistes et de l’environnement. La rivière Soca qui longe l’Italie est une merveille. Pour la Croatie, ce sont les lacs de Plitvice, au sud de Zagreb, qui m’ont impressionnés. Classés au patrimoine mondial de l’Unesco, ces 17 lacs qui se rejoignent en cascades représentent un des plus beaux sites de l’Europe à mon sens. Evidemment je retiendrai l’accueil des serbes. La Serbie ne m’a coûté que deux euros par jour. J’ai été invité partout, chaque soir, et jamais je n’aurai bu autant de bière. Il m’était parfois difficile de repartir sur les routes… Le Monténégro, la Montagne Noire, possèdent des reliefs impressionnants. Le canyon de Tara, le plus profond d’Europe, celui de Moraca ainsi que la baie de Kotor classée à l’Unesco, m’ont émerveillé. Enfin de la Bosnie je retiendrai le sourire des enfants. Un peuple incroyable qui m’a bouleversé, tant le contraste est fort entre la gentillesse et la passion des bosniens et les paysages dévastés par la guerre.

Qu’avez-vous fait depuis ces balades en vélo dans l’Europe de l’Est ? Et sur quels projets planchez-vous en ce moment ? Ce voyage dans les Balkans a été une révélation, le meilleur de tous les périples que j'ai effectués. Alors en été 2007 j'y suis retourné pour en découdre avec tous les pays de cette région. Je me suis donc rendu au Kosovo, Albanie, Macédoine, Bulgarie et également Roumanie (pays de Dracula, passage obligé pour la promotion du don du sang !). Il s'agissait d'un nouveau voyage de 4000 kilomètres. Sitôt terminé, je me suis rendu à Lima au Pérou, pour un plus long périple le long de la Cordillère des Andes. De septembre à mars, j'ai effectué 11 200 kilomètres entre Pérou, Bolivie, Chili et Argentine. Ce cinquième voyage pour les voyageurs au grand cour porte à 28 800 le nombre de kilomètres effectués pour la promotion du don du sang. Entre temps, j'ai également effectué un petit voyage d'une semaine sur le magnifique plateau du Cézallier, entre le département du Cantal et celui du Puy de Dôme en Auvergne. Ce voyage s'est fait en compagnie de David Génestal, également écrivain voyageur. Le but de ce voyage était de récolter les déchets laissés sur le bord de route. Le plateau du Cézallier étant qualifié d'espace désertique, sauvage, naturel, je voulais montrer que, même dans ces endroits, on arrive à trouver des bouteilles, emballages, mégots jetés par les automobilistes. Ce travail a été fait en relation avec une école et un collège. Des élèves sont venus avec nous pour ramasser les déchets, une manière de montrer qu'aujourd'hui ce sont les enfants qui doivent ramasser les merdes des parents. Cela n'a pourtant pas l'air de choquer qui que ce soit, peut être parce que le monde ne tourne plus vraiment très rond.

Je suis revenu en France il y a à peine une semaine, début mai. Il me faut maintenant écrire trois livres concernant mes trois derniers voyages. Je vais également faire plusieurs conférences en France (déjà prévu à Marseille, Entzheim, Le Havre, Clermont-Ferrand.) (voir planning sur le site http://voyage-grand-coeur.org). Ensuite j'aimerai évidemment repartir, pour poursuivre cette mission que je me suis donnée, celle de découvrir le monde à vélo en faisant la promotion du don du sang, ce geste si important auquel je dois ma vie. A suivre dans de prochains épisodes !

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Pour en savoir plus : consultez son site http://j.leblay.free.fr