Fontevraud la moderne

L’effervescence culturelle

1963 : la prison, c’est de l’histoire ancienne. Il faut oublier cette phase peu reluisante et bien repoussante et se tourner vers l’avenir, renouer avec le destin d’exception que le couvent a connu lors de ses heures de gloire. On entreprend alors des restaurations afin de revenir à l’abbatiale originaire. On efface les traces de la période pénitentiaire et même si des cicatrices demeurent (les graffitis des prisonniers sur les murs sont tenaces), l’abbaye réapparaît. La nef de l’église retrouve sa lumière envoûtante, les cloîtres verdissent à nouveau, les ateliers redeviennent des lieux de méditation. Seuls les arpenteurs des bâtiments trahissent ce retour au passé. Plus de nonnes ni d’abbesse omnipotente. Une nouvelle population anime les couloirs et piétine le sol écarlate. Elle est beaucoup plus bruyante et dissipée que les religieuses d’antan mais toute aussi contemplative. Elle ne contemple pas Dieu mais l’abbaye elle-même. Cette population du XXe siècle assoiffée de découverte et de culture, à la recherche d’évasion et de dépaysement est bien connue sous la dénomination de « touristes ».

 

En 1975, le Centre Culturel de l’Ouest est créé sous l’impulsion d’Olivier Guichard. Le site aura désormais une vocation culturelle et devra ravir ses futurs visiteurs. L’innovation devient un souci constant et les projets affluent pour attirer encore plus de monde.
L’été 2010 sera dans cette perspective riche en animations. « À table » par exemple remettra des casseroles dans les cuisines désaffectées et des couverts dans le grand réfectoire, qui n’a plus servi depuis belle lurette. Chaque samedi de juillet et d’août, la table est dressée et ouverte au public pour servir un dîner animé par un hôte de choix (l’historien Jacques Le Goff, le poète et chanteur Dick Annegarn, le compositeur Zad Moultaka…). Une bonne occasion de s’immiscer dans les murs de l’abbaye pour partager un repas tout en assistant à des performances et à des concerts.

Fontevraud festive
Fontevraud en fête

Les 18 et 19 septembre, l’abbaye jouera le jeu des journées du patrimoine (4e édition) et bannira l’impossible. Vous pourrez errer dans les souterrains moites et y faire des parties de cache-cache avec vos enfants, pique-niquer dans l’herbe grasse des jardins médiévaux, écouter de la musique et pour les plus sérieux, participer à des débats d’idées. Si l’abbaye table donc sur l’événementiel pour conquérir un public et attirer les baroudeurs, elle s’adonne également au permanent et cherche à tirer partie du patrimoine exceptionnel qui est le sien en mettant en place une muséographie résolument moderne et innovante.

 

« musée éphémère »est le premier des dispositifs innovants. Il s’agit d’un ensemble qui, a terme, comportera sept espaces d’expositions. Chaque mini-musée s’accapare un lieu de l’abbaye et se focalise sur l’une des personnalités primordiales qui a su alimenter son histoire. Pour l’heure, trois portraits ont déjà été établis. Le premier par exemple est celui de Jean Genêt, écrivain engagé ayant connu l’enfermement carcéral et situant l’action de son Miracle de la rose (1943) dans la centrale de Fontevraud. À travers cet homme de lettres, le visiteur découvre alors la Fontevraud carcérale et s’immerge dans l’univers suffocant du XIXe siècle.
Le public pourra également voir Fontevraud d’un autre œil en s’aventurant du côté de la colline, près de l’infirmerie St-Benoît. C’est là qu’a été installée la présentation de Robert d’Arbrissel qui permet d’en apprendre plus sur la fondation de l’abbaye.

Musee ephémère, espace Jean Genet
Musée éphémère, espace Jean Genet

L’abbatiale quant à elle accueille des panneaux-tapis depuis peu (mai 2010), couvrant partiellement le sol et permettant au lecteur de mieux comprendre comment Aliénor d’Aquitaine a permis l’essor de l’institution fontevriste. Trois nouvelles personnalités devraient venir compléter le musée éphémère au cours de l’année 2011 (Marie Madeleine Gabrielle de Rochechouart de Mortemart, Julie Sophie d’Antin et Marie de Bretagne) : trois nouvelles voies pour explorer encore de nouveaux aspects de Fontevraud (la Réforme, la Révolution…).
Fin 2011, les six expositions-portrait, ainsi qu’un trésor, devraient donc être installés dans leurs sites attribués. Cela mettrait fin au « musée éphémère » en faisant aboutir le projet à son terme. Les présentations, à la muséographie prenante et remarquablement bien adaptée au sujet, devraient alors rejoindre un nouveau musée, pérenne celui-ci, consacré à l’histoire de Fontevraud dans son intégralité.
Découvrir ainsi les multiples vies de l’abbaye à travers les personnages qui en ont marqués les étapes est judicieux et donne un bon aperçu de la richesse du monument au lourd patrimoine. Mais comment rendre encore plus réel la Fontevraud du XIXe siècle, celle qui a enfermé des milliers de prisonniers ?

 

Là encore, les têtes pensantes de Fontevraud se sont dépensées et ont mis au point une innovation ambitieuse et futuriste : un « espace multitouch ». Vous vous demandez sûrement ce que ce néologisme désigne et faute d’aller voir la bête dans l’instant, faites-vous en une idée via cette description.
Vous connaissez forcément l’i-pod et son écran à titiller du bout des doigts pour jouer avec les contenus. L’ « espace touch » est à peu près l’équivalent sauf qu’il se la joue moins perso et entend en faire profiter jusqu’à huit personnes, qui, juchées au-dessus de l’écran posé horizontalement sur un socle blanc, batailleront pour avoir leurs propres images et leurs propres documents. On peut certes batailler mais on peut également s’échanger pacifiquement les fenêtres que l’on ouvre du bout des doigts. L’interaction entre les « touchers » est en effet désirée et qui sait, peut-être de nouvelles relations vont-elles se nouer autour de cette technologie à partager !
 

Coque de l'espace multitouch
La coque de l'espace multitouch

Ecran multitouch
Jouez avec les contenus

Au niveau du look, l’« espace-touch », table numérique carrée de 4m50 de côté, est intégrée dans un cube blanc dont les quatre parois sont ajourées tels des stores vénitiens. Implanté dans le transept droit de l’abbatiale, l’ensemble a de quoi étonner au première abord. Mais finalement, les concepteurs ont su intégrer leur bijou dans l’écrin de pierre blanche sans trop de dissonances.
En plus de se fondre dans le décor, l’« espace touch » apporte un vrai complément informatif à la visite in situ de Fontevraud. Aujourd’hui, on peut certes visiter une cité monastique mais guère une prison. En allant expérimenter la technologie, on a alors l’occasion de découvrir l’état du lieu lorsqu’il était amas de cellules. Il faut gratter l’écran, l’astiquer avec insistance pour effacer le plan de l’abbaye restaurée et laisser ainsi apparaître les infrastructures carcérales du passé. La prison réapparaît sous l’impulsion de nos doigts. Plus besoin de maquette, le numérique remplace le visuel par de l’interactif et du tactile pour plus de fun et d’amusement.
Voilà donc un appareil très ludique et original qui n’en est qu’à un stade prototypique. Il devra faire ses preuves et vous convaincre avant d’aller plus loin.

 

L’abbaye de Fontevraud innove donc en permanence pour faire revivre ce lieu exceptionnel, pour relater son destin unique et pour faire venir jusqu’en Val-de-Loire le plus grand nombre de passionnés de culture et d’amateurs de balades. Expositions originales, nouvelles technologies, événements ; depuis 1975, l’abbaye sait se faire coquette et aguicheuse.

 

Sophie Graffin
Publié le 16/09/2010

Crédits photos : © S. Graffin ; © David Darrault - CCO