La fraternité de Clarisses - Le Corbusier

Renzo Piano : nouveau nom, nouvelle naissance et… nouveau succès ?

Façade Ouest
Verrière "la mer"

Le phénix ne renaîtra pas cette fois-ci. Aucune destruction n’est à déplorer. Mais une extension est à apprécier. L’Association Œuvre Notre-Dame du haut, propriétaire du site qui était déjà à l’origine de la reconstruction de 1955, veut respecter le désir de Le Corbusier de créer « un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure ». Réintégrer une communauté de Clarisses (disciples de Claire qui respecte la règle des Franciscains) apparaît alors comme un bon moyen de perpétuer la permanence de la vie spirituelle et de l’activité cultuelle de Notre-Dame du haut, conformément aux vœux de son créateur. C’est donc décidé, on va faire venir les sœurs du monastère Ste-Claire de Besançon sur cette colline. Mais l’affaire fait grand bruit et on déplore une telle ambition. La chapelle est devenue sacrée et intouchable. Implanter de nouveaux bâtiments pour abriter des nonnes risque de dénaturer et de pervertir le cadre idyllique qui l’entoure. Mais le projet tient bon. On appelle Renzo Piano, architecte talentueux et orchestrateur du centre Georges Pompidou de Paris, en renfort pour convaincre les plus dissidents. Michel Corajoud, architecte paysagiste, est à ses côtés pour concocter un « programme  Ronchamp 2008-2010 » susceptible de convenir. L’objectif est de créer un ensemble discret qui s’insère, comme si de rien n’était, dans la pente sud de la colline, en contrebas de la célèbre chapelle. L’équipe de Renzo Piano propose alors de dissimuler les 964 m² de la future fraternité en les insérant partiellement dans la terre. Du haut, on ne verra donc rien. Le chef-d’œuvre de Le Corbusier n’aura pas à batailler contre celui de Renzo Piano ! Le projet séduit par cette volonté de préserver l’unité du site (on recourt principalement à des matériaux simples comme l’avait fait Le Corbusier : béton, zinc et verre en tête) et de ne pas déranger la chapelle. Son côté symbiose avec la nature environnante fait taire les quelques détracteurs qui restent et un nouveau chantier envahit l’espace en 2008.

 

2010 sera l’année d’achèvement de ce chantier. On pourra alors aller visiter de nouveaux bâtiments. Le premier est un couvent constitué de douze cellules individuelles, de 11 m² chacune, pour héberger les sœurs (deux cellules supplémentaires sont prévues pour les handicapés), d’un oratoire d’environ 100 m², de locaux communs tels qu’une salle de communauté, un réfectoire et enfin de quelques salles annexes pour le bien-être des vertueuses (salles de couture, bibliothèque, salle de détente, parloirs et bureaux administratifs). Les installations religieuses sont complétées par un ensemble de neuf chambres destinées aux pèlerins ou aux visiteurs en quête de quiétude et de repos. Le cadre et le silence du bois alentour sont idéals pour un ressourcement spirituel ou tout simplement pour se requinquer en profondeur. Peut-être serez-vous l’un des multiples visiteurs qui ont choisi de tester ces logements qui risquent d’être très convoités ?

Une nouvelle porterie sera de plus construite pour remplacer l’actuelle qui souffre d’un aspect pitoyable et qui n’est plus adaptée au flux toujours plus important de touristes venant de tous les pays. Un bâtiment bien plus moderne est prévu pour l’accueil du public et élargira la capacité actuelle. On y retrouvera néanmoins toujours une billetterie, une boutique, une grande salle de réunion et d’exposition, des sanitaires.

Enfin, le projet s’étend jusqu’au parking, qui sera proprement aménagé et affublé de verdure bénéfique pour offrir de l’ombre aux véhicules en stationnement et pour répondre à l’exigence d’une ambiance champêtre. 2 202 m² lui seront consacrés.

On tire donc les leçons du coup de maître qu’a réussi à son insu Le Corbusier il y a un demi-siècle et l’on tente de reproduire l’exploit. On a vu ce que cela faisait de confier à un architecte renommé un projet religieux : un retentissement énorme et une notoriété phénoménale. Renzo Piano reprend la chandelle. Son nom prestigieux parviendra-t-il à doubler le prestige du site et à ameuter encore plus les foules ? Pour le savoir, laissons d’abord le chantier se terminer et le temps nous dira alors si les billets s’écoulent à la vitesse du son…
 

Quelques mots sur Le Corbusier, pape de l'architecture moderne

Façade Est
Tellement connu qu'il figure
même sur les billets suisses

Pour ceux qui ne le connaissent pas très bien, il faut savoir qu’en matière d’architecture, Le Corbusier est un grand nom et une espèce rare. À son époque, la sobriété domine les arts et l’Après-guerre s’accommode peu avec les coups de folie. On reste donc sage dans la création. C’est dans cet esprit que Le Corbusier développe ses concepts. La découverte du béton et de ses exploits pour supporter les masses les plus lourdes libère de plus les façades de leur rôle porteur et remodèle complètement l’art de la construction. L’architecte suisse est celui qui dresse la liste de nouvelles normes : il canonise l’architecture moderne.

 

Né le 6 octobre 1887, à Chaux-de-fonds, modeste bourgade suisse, Charles-Edouard Jeanneret est la véritable identité de Le Corbusier (il meurt en 1965). Le pseudonyme sera adopté en 1920, lorsque le personnage n’est pas encore le Brunelleschi du XXe siècle. A cette date, il publie L’esprit nouveau avec son ami peintre Amédée Ozenfant. En 1923, il conforte son nouveau nom en éditant à nouveau un ouvrage qui aura un grand retentissement : Vers une architecture. En même temps que ses travaux d’écriture, Le Corbusier essaime ses constructions dans toute la France : Vaucresson, Paris, Boulogne-sur-Seine, Ville d’Avray, Poissy (fameuse Villa Savoye), Marseille (Cité Radieuse), Bordeaux et même Ronchamp !

Le Corbusier est un grand théoricien qui a jeté les bases de l’architecture moderne en définissant cinq points pour la caractériser (pilotis, toit terrasse, plant libre, fenêtre bandeau, façade libre). Il s’est beaucoup intéressé aux logements sociaux et aux unités d’habitation cherchant à bâtir des cités abordables et uniformes. Le mouvement qu’il inaugure se démarque par une simplicité et une rigueur qui conviennent parfaitement à l’ascétisme prôné par l’Eglise catholique. Qui était contre l’édification d’une chapelle par un profane ? Le Corbusier n’est pas n’importe quel profane et il semblerait que son chef-d’œuvre de Ronchamp soit parvenu à le montrer et finalement à enfin emporter l’adhésion. Enfin peut-être pas celle de tous…
 

Le Corbusier n’aura réalisé que trois œuvres sacrées. La première reste la plus connue et la plus inédite : c’est la chapelle de Ronchamp. Egarée dans la densité boisée d’une colline des Vosges, trônant au sommet de cette dernière, l’édifice rayonne par sa simplicité et le dénuement presque provocateur qu’il affiche. Et pourtant, la magie opère. L’irrégularité de la paroi blanchie à la chaud fait ruisseler la lumière, la coalition de lignes droites et des courbes de la coque en forme de carapace de crabe séduit et la maîtrise des aléas de l’ombre à l’intérieur apaise et pousse au recueillement. Il ne nous reste plus qu’à adresser une petite prière à Le Corbusier, en guise de remerciement.

 

Sophie Graffin
Publié le 27/07/10

Crédit photo : © CRT Franche-Comté, Sandrine BAVEREL ;
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