Carreteras y Bocadillos

Interview de René Contreras

René Contreras est un passionné de vélo. A travers son livre Carreteras y Bocadillos, il partage son voyage à bicyclette, fait en juin 2000 dans la péninsule ibérique.

(Juin 2009)

René ContrerasEntre aléas, tourments, émerveillements, il a fallu beaucoup de persévérance et d’endurance pour relever le défi que s'étaient lancés René Contreras et deux de ses amis, celui d'aller jusqu'en Espagne en vélo.
Dans Carreteras y Bocadillos, tout un chacun peut se plonger dans ces 14 journées de vagabondage à bicyclette à la découverte des paysages espagnols.
... à la sortie de chaque courbe, c'est toujours une découverte puis une inquiétude ou une espérance, voire un peu de réconfort.

Vous racontez dans votre récit votre voyage itinérant à travers l’Espagne. Des centaines de kilomètres parcourus à vélo. Vous êtes un passionné de bicyclette, mais pourquoi avoir choisi l’Espagne ?

Pays où sont mes origines. C’était en quelque sorte un retour
aux sources. Mes ancêtres, eux, en étaient partis en catastrophe si l’on peut dire, l’Andalousie n’a pas toujours été
ce qu’elle est aujourd’hui ; et puis la belle Andalousie !
Et puis aussi la quasi certitude d’éviter la pluie, de pédaler sous des cieux cléments, la maîtrise de la langue, ce défi lancé par ma fille qui avait étudié à l’Université de Grenade.
Je me suis lancé dans cette aventure qu’est le voyage itinérant, à bicyclette, au-devant de 1800 kilomètres de routes à découvrir, pour une quinzaine de jours. J’avais toutefois une pratique régulière du cyclotourisme depuis une dizaine d’années et à mon actif un tour de France de trois mille deux cents kilomètres mais avec assistance c’est-à-dire sans bagages à transporter.

Vous étiez 3 à faire cette aventure. Comment vous-êtes vous organisés au quotidien ? Nous avons fait la route ensemble bien sûr, Stéphane, José et moi, très proches les uns des autres, un peu plus distants lors des ascensions en début de voyage mais au sommet, le premier arrivé attendait le reste de la petite compagnie.
S’il est facile sur le plat de rouler tous à la même allure, cela est moins évident dès qu’il s’agit de monter ; là, chacun prend son rythme, sur le braquet (développement) qui lui convient en fonction de ses jambes, de son souffle et de son cœur… José, le plus ancien, et beaucoup plus chargé que nous, s’est plusieurs fois retrouvé légèrement distancé lors des grimpées surtout mais Stéphane, attentif, est toujours resté proche. Pas question de distance entre nous lors des traversées d’agglomérations, là, nous étions soudés ; pas question non plus de s’éparpiller !Villanueva de los Infantes
Puis José a décidé de ne plus poursuivre, au pied des Pyrénées, pas certain d’aller jusqu’au bout du périple, étant donnée sa fatigue accumulée dès les premières journées contre une Tramontane qui n’avait de cesse (nous luttions contre) et qui avait beaucoup plus de prise sur lui, vu son chargement plus conséquent que le nôtre. Il a préféré rebrousser chemin et rentrer tranquillement après un peu de repos chez des amis du Roussillon.
Stéphane et moi, ensuite, avons toujours roulé très très proches, mon compagnon préférant rester derrière car plus facile pour lui, me disait-il, de s’adapter ! Stéphane avait plus de facilité que moi mais par contre aucune expérience pour ce qui est du pédalage en équipe, ses voyages ont tous été en solo. Nous nous étions fixés une distance journalière moyenne de cent trente kilomètres, sans vraiment savoir – il faut l’avouer – si c’était un choix judicieux ; ce choix s’est révélé plutôt excessif, il est toujours plus facile de totaliser des kilomètres accoudé sur une carte ! A vélo, un petit ravitaillement est nécessaire en milieu de matinée, avant un copieux repas à la mi-journée ; la fringale est la pire ennemie du cyclo ! Et de petits encas doivent toujours être à disposition. Nous en avions dans nos bagages pour les tous premiers jours, par la suite ce furent des bocadillos.
Le soir, c’était la course à l’hébergement, à l’étape prévue ou pas. Ce fut quelquefois l’angoisse et des détours mais nous ne nous sommes jamais retrouvés sans le gîte et le couvert, nous avons toujours trouvé un petit hôtel, une pension, une auberge avec une chambre à deux lits, avec un seul lit, cela nous convenait aussi … en tout bien tout honneur ! Nous avions chacun un sac de couchage pour le cas ou, jamais déballé.

Vous avez découvert de nombreux paysages et fait diverses rencontres, que retenez-vous précisément de cette aventure ?

Devant une longue ligne droite, à la sortie de chaque courbe, c’est toujours une découverte puis une inquiétude ou une espérance, voire un peu de réconfort. Les images défilent et plus qu’un crayon et quelques feuilles de papier, il faudrait une caméra (orientable sur le guidon) et un magnétophone pour capturer ce qui s’offre à nos yeux et toutes nos émotions, impressions, interrogations. C’est ce que je me suis dit, c’est ce que je me disais en fin de journée, en faisant le récapitulatif. Mais est-ce qu’un film de tout ce que l’on peut voir, un enregistrement de tous les commentaires que l’on se fait au rythme des coups de pédale suffiraient à tout retranscrire ? Je ne le crois pas. On est immergé dans un milieu, isolé et envahi de tant, de trop de sensations … On ne saurait tout retranscrire, on vit tant d’ impalpables impressions. Pour parler plus terre à terre ou revenir plus près du macadam, s’offre à nous, avec le paysage, le profil de notre chemin : la chaîne de montagnes inquiète, la plaine rassure. S’ajoutent au profil les conditions climatiques, le vent peut ne pas être l’allié du jour, la pluie est encombrante et dangereuse, la chaleur malsaine; et si le revêtement s’y met et c’est bien lui le plus présent !
Champs d'oiliers en AndalousieJe tire ma révérence toutefois aux routes espagnoles. Quoi qu’il en soit, nous nous devons d’avancer et la route et le ciel pas toujours accommodants, nous enseignent l’humilité. La route aussi a ses hauts, ses bas ; avancer, avancer, quels que soient les mauvais temps … Beaucoup de compassion, de compréhension et d’étonnement, d’admiration, d’émerveillement, dans les yeux de tous ces gens rencontrés, surtout des plus jeunes, les plus envieux. Beaucoup d’empressement pour nous aiguiller parce que le cyclo se retrouve souvent tourmenté par des interrogations au détour de la rue ou du chemin ou au moment fatidique de la question de l’hébergement.

N’avez-vous pas eu des moments de découragement, notamment au moment de la traversée de Alcazar de San Juan à Puebla del Principe, une route qui vous a paru interminable ?

« Où il apparaît que le cyclo errant présente des signes de lassitude ». C’est le titre – pour plagier un peu Cervantès, le local de l’étape - qui résume notre douzième journée, d’Alcazar de San Juan à Puebla del Principe et ses cent trente sept kilomètres. Pourtant la fin de journée, la veille, fut grandiose sous les ailes des moulins de Campo de Criptana, nous donnions de grands coups d’éperons, sur nos rossinantes débâtées pour les attaquer… Quatre vingt dix neuf kilomètres ce matin, agréables pour l’entame du jour, sur la longue et rectiligne route vers Manzanarès, puis ventés et donc interminables sur une route qui s’élève. Le vent chaud et le faux plat montant nous ont lessivés ! Il n’a pas été possible de faire plus court pour trouver un village où nous rassasier ! Nous ressemblons, faméliques, à ce cavalier amaigri, juché sur sa Rossinante, tête basse et lance à la main, à l’entrée de l’agglomération de Villanueva de Los Infantes, il est quatorze heures vingt ! Grande déshydratation, grande solitude, telle est la qualification qu’on pourrait donner à cette matinée. Nos mines inquiètent une jeune villageoise, qui comprend illico ce dont nous avons besoin ! « Vous pourrez vous reposer », termine-t-elle ! Un copieux repas et un peu de répit nous donnent un peu de courage pour réenfourcher nos montures ; la route nous appelle, elle n’en a pas encore fini avec nous aujourd’hui !
Moult haltes cet après-midi, un vent persistant chaud qui nous déshydrate ; cherchons désespérément boissons fraîches ! La fin de notre étape sera le petit village de Puebla del Principe perché – cerise sur le gâteau- sur une petite sierra, encore une ! Un détour que nous décidons pour ne pas aller chercher notre hébergement de ce soir beaucoup plus loin, beaucoup trop, dans notre état ! Mais le but est là, tout proche, à deux journées ; Grenade est-elle si belle qu’il faille tant souffrir ? Une fin de journée réconfortante et une bonne nuit nous relanceront …

Cette expérience vous a-t-elle donné envie de parcourir d’autres pays, si oui, lesquels ?

Un bien joli virus que celui du voyage … l’inconnu des jours qui suivent … et le voyage au long cours a cette part d’incertitude. « Il n’y a que les routes qui sont belles et peu importe où elles nous mènent », oui mais tant qu’elles sont orientées sud ! Le Sud, une destination que je privilégie ; déjà un tour de Corse, cette traversée de l’Espagne, et puis l’année dernière un petit tour au Portugal et en suis revenu avec pas mal de kilomètres espagnols ! Donc c’est déjà fait ! Trente et une journées de vélo, trois mille huit cents kilomètres parcourus pour rallier Lisbonne et revenir, cela avec un nouveau coéquipier rejoint au nord du Portugal. Une autre aventure, d’autres conditions notamment climatologiques, des distorsions au sein du duo … une nouvelle expérience. Jusqu’à maintenant, je me suis orienté vers des pays ensoleillés du sud de l’Europe. Mais je recherche plutôt le soleil et la chaleur qui me conviennent mieux et qui sont quand même plus favorables à la pratique du vélo. Et si mes jambes me le permettent et avant mon grand âge … et dès que le vent soufflera, je repartira …   Commandez son livre "Carreteras y Bocadillos"Carreteras y BocadillosExtrait du livre :
18 octobre 2001. La grille de mon rasoir est à nouveau endommagée. Elle n'est pourtant pas trop ancienne ; je me souviens très bien, la dernière fois que je l'ai remplacée, c'était l'année dernière, en juin. Le modèle réduit de savonnette qui se trouve dans le même tiroir que le rasoir et dont l'emballage blanc porte les inscriptions "Restaurante Hostal MARIBLANCA 35 00 44 SACEDON (Guadalajara)" s'associe maintenant au rasoir ; ils m'apostrophent tous les matins. Je m'étais promis d'essayer de raconter mon escapade à bicyclette, voyage itinérant à travers l'Espagne, fait en juin 2000. Depuis, j'allais de report en report. Aujourd'hui, en cet après-midi de repos, pluvieuse, je me lance enfin. Les jours s'en vont, les paroles s'envolent, les écrits restent. Je vais visionner le film de ces quelques journées, le fixer en un petit récit, pour en faire profiter mes plus proches. Je dispose d'un tas de notes dont quelques-unes prises sur ces petits essuie-mains, genre papier cigarette, que l'on trouve dans les bars, prises ça et là sur la route, à la moindre pause ou en fin d'étape, d'un itinéraire détaillé, de copies de cartes comportant une route surlignée en rouge, de factures d'hôtels ...

"Carreteras y Bocadillos" de René Contreras, éditions Le Manuscrit, 2005, 234 pages.