Chroniques d'Amérique

Auteur : François Hauter

Résumé L’Amérique change, s’adapte et continue d’attirer les rêveurs du monde entier. François Hauter a donc décidé, après avoir étudié la nation chinoise dans son dernier ouvrage, de se plonger dans ce vaste pays à l’énergie débordante.

Interview de François Hauter

L’Amérique change, s’adapte et continue d’attirer les rêveurs du monde entier. François Hauter a donc décidé, après avoir étudié la nation chinoise dans son dernier ouvrage, de se plonger dans ce vaste pays à l’énergie débordante. Ainsi, deux mois et demi durant ce grand reporter du Figaro a parcouru les Etats-Unis afin de mieux les comprendre. Des moments de vies pris sur le vif.

(Mai 2010)

Port d'Agde
© François Bouchon/ Le Figaro 2009 François Hauter est rédacteur en chef au Figaro et grand reporter. Il a été correspondant en Chine, en Afrique et aux Etats-Unis, ainsi que reporter de guerre dans divers pays.
Lauréat du prix Albert Londres, il est l'auteur de biographies de peintres. Son dernier ouvrage Planète chinoise est paru en 2008. François Hauter revient en 2010 avec ses Chroniques d'Amérique.
Rencontre autour d'un thé, au 14 boulevard Haussmann, dans le magnifique bâtiment du Figaro.
  Quel était le but de ce voyage ?

L’idée, c’était de faire une série d’une vingtaine de pages pour mon journal, comme un feuilleton et essayer de raconter cette Amérique qui a élu un président noir, alors qu’elle est née dans une guerre civile atroce il y a 150 ans autour de la question noire justement.
J’ai vécu aux Etats-Unis pendant plusieurs années il y a vingt ans, comme correspondant de mon journal à Washington, qui était une ville incroyablement ségrégationniste. Elle était séparée en deux par une rue, et les deux communautés ne se mélangeaient absolument pas. Avec cette élection, l’Amérique semble nous dire que la question raciale est passée au second plan par rapport à la qualité humaine d’un personnage. Cela nous a paru suffisamment bouleversant pour mériter une enquête de fond, et comprendre ce qu’il s’était passé dans la société américaine depuis 20 ans.

Quelle impression avez-vous eu une fois sur place, 20 ans après ?

Les gens vivent différemment par rapport à cette question raciale. Pour les Noirs, l’élection d’Obama a été un formidable espoir dans la mesure où leurs enfants peuvent rêver d’être l’homme le plus puissant du monde et plus seulement basketteur ou chanteur. Les relations entre les communautés blanches et noires se sont vraiment détendues, que ce soit à Chicago ou Washington, je suis allé dans des quartiers ou je n’avais jamais pu aller il y a 20 ans, en tant que Blanc. Les sceptiques continuent à dire que l’inégalité reste dans le même camp, ce qui est vrai, mais Oprah Winfrey, qui est une femme noire, est aussi la femme la plus riche des Etats-Unis.
Obama a été élevé à Hawaii, un état singulier où les cultures sont mélangées. Il annonce une société formidablement multiculturelle, qui s’esquisse aujourd’hui en Californie avec les Asiatiques et dans le Sud-est avec les Mexicains. Ce sont ces régions où le métissage est le plus fort qui font aujourd’hui partie des plus dynamiques du pays.

Dans le livre vous parlez d’uniformisation et du fait qu’aujourd’hui les particularismes s’éteignent. Que voulez-vous dire ?

C’est en effet ma conclusion. Cela m’a beaucoup frappé à Hawaii, qui a été une île ségrégationniste jusqu’à la dernière guerre mondiale et ceux qui n’étaient pas blancs étaient considérés comme des « sous-hommes ». Suite à la guerre, l’économie a profondément été transformée. Il a donc fallu beaucoup de main-d’œuvre : Japonais, Philippins, Chinois… Tout le monde a commencé à se mélanger et à se métisser.
Aujourd’hui quand on se promène dans les rues d’Hawaii, on ne peut pas reconnaître l’origine des visages que l’on voit. Il y a aussi une uniformisation culturelle à travers une espèce de nivellement du paysage dû aux grandes entreprises, aux grands centres de développement… On ne sait plus très bien où on est et c’est cette uniformisation qui fait peur.

Certains passages du livre sont inquiétants, notamment en ce qui concerne l’Alaska où la machine américaine phagocyte l’espace et l’environnement, et ses ressources avec, ou encore sur la destruction de l’île de Pâques.

C’est le côté destructeur des hommes cela. Aux Etats-Unis, comme leur nature est immense, leurs frontières sont très larges. Ils ont l’impression que la nature est inépuisable et donc ils imaginent tout en très grand. Ils détruisent aussi en très grand. Ce ne sont pas les seuls. Les Chinois ont complètement ruiné leur pays et ils sont en train de provoquer une catastrophe écologique à l’échelle planétaire. C’est plus un problème d’humain qu’un problème d’Américain.

En ce qui concerne l’île de Pâques, c’était un clin d’œil pour rappeler que notre monde est incroyablement fragile. L’île est perdue au milieu du Pacifique, elle ressemble assez à notre terre perdue au milieu de l’univers. A force de jouer avec la nature et de ne plus en être un élément, on se prépare un avenir de destruction. C’est ce que font les Chinois aujourd’hui qui ont pollué toutes leurs eaux et qui se tournent vers le Tibet et ses ressources.

Quel futur imaginez-vous pour les Etats-Unis ?

En 2042, les blancs seront minoritaires aux Etats-Unis, il faudra donc composer avec toutes les ethnies. Cela va profondément changer les choses. Il faudra donc respecter toutes les cultures sur un même plan d’égalité. Tout le monde devra accepter le métissage généralisé de cette société.

C’est plutôt positif tout de même !

En effet, mais c’est aussi un point d’interrogation car tout ce qu’on gagnera en universalité on le perdra en singularité. On gagnera beaucoup et on perdra beaucoup aussi. En Europe cela se produira également. Les populations immigrées sont nombreuses et comptent culturellement. Les cultures les moins créatives sont celles qui ont été à l’écart des autres routes. On le voit bien à travers l’exemple de la Nouvelle-Calédonie dans les îles du Pacifique, qui était au bout de l’arc océanien, là où personne n’allait.   Commandez son livre "Chroniques d'Amérique"Chroniques d'AmériqueSynopsis :
Les Français aiment critiquer l'Amérique. François Hauter a eu envie de la comprendre. Soixante-quinze jours durant, le grand reporter, prix Albert-Londres, a fait l'Amérique buissonnière et parcouru l'empire de long en large. Immense continent, immenses contrastes. L'empire n'est pas un ; il est morcelé. Il y a l'Amérique de l'argent et celle des white trash, celle des droits civiques et celle des sans-papiers, des grands espaces et de la frontière, de la religion et des inventeurs. Dans la tradition d'un Blaise Cendrars, Hauter fonctionne à l'intuition et au hasard, parle à tout le monde et frappe à toutes les portes, pour saisir l'Amérique sur le vif et raconter ce pays qui vient de nous coller un direct en élisant un président noir.

Comment avez-vous élaboré votre périple aux Etats-Unis, dans le choix des villes… ?

J’ai commencé par l’Alaska parce que j’ai toujours rêvé d’aller là-bas. Leur relation avec la nature m’intéressait profondément et pour comprendre s’il y a un déclenchement dans l’esprit des Américains, mais il n’y en pas. Nous avons cette idée que le progrès technologique va nous permettre de nous sauver, de vivre aussi confortablement qu’aujourd’hui mais sans effort. C’est idiot puisque si l’on doit imaginer que les Chinois vivent comme les Américains, il faudra 6 fois la terre en terme de ressources, or nous n’en avons qu’une. Un simple progrès technologique ne nous sauvera donc pas.
Ensuite, les questions que je me posais me menaient vers d’autres destinations, les rencontres aussi, surtout les rencontres.

En termes de rencontres, vous parliez avec des Américains que vous connaissiez déjà ou des inconnus ? Est-il facile de communiquer spontanément avec eux ?

Aux Etats-Unis, c’est merveilleux. On peut parler avec tout le monde et tout le monde vous parle, tout le monde est curieux. C’est le contraire de chez nous. Ils connaissent peu les Européens mais ils n’en ont pas une mauvaise image. Les gens sont formidablement accueillant, gentils, confiants. Ils ont des qualités qui expliquent pourquoi ce peuple de plus de 300 millions d’habitants exerce un pouvoir aussi important sur le reste de l’humanité.
L’Amérique est une société qui permet de s’épanouir. Les Américains et leurs enfants sont confiants, et dans la crise ils sont courageux. Je pense qu’ils conserveront leur leadership pendant encore longtemps.

On entend souvent dire que les Etats-Unis n’ont pas d’histoire ni de patrimoine. Un voyageur français ou Européen habitué à une histoire et un patrimoine très riches sera-t-il déçu aux Etats-Uni s?

éricains ont une histoire riche, dure et difficile, qu’ils remettent beaucoup en question, plus que nous le faisons. Nous, nous ne nous posons pas trop de questions, et en ce qui concerne l’histoire récente nous sommes d’une très grande timidité, que ce soit par rapport à la guerre d’Algérie ou la dernière Guerre mondiale. Ils ont des pierres d’angle autour desquelles ils se réunissent tous : la Bible, la Constitution et le drapeau. Vous ne trouverez certes pas des cathédrales du Moyen Age, mais vous trouverez des esprits radicalement différents des nôtres, un monde plus tourné vers l’avenir que vers le passé.
’est plutôt une cure d’énergie que vous allez prendre qu’une cure d’esthétisme, bien que la nature soit très belle. Ça va vous flanquer un tonus formidable ! Vous aurez les batteries rechargées à fond.

Pensez-vous que le rêve américain existe toujours ?

Les Etats-Unis, c’est un endroit où on projette des rêves depuis toujours. C’est ce qui a fait son succès, c’est un rêve que tout le monde peut comprendre dans la mesure où il est assez simple : si vous travaillez comme un fou, vous réussissez. En Europe dans les années 60/70, on se disait : on va suivre l’exemple américain. Lorsque j’étais petit par exemple, les gens voulaient un « frigidaire », qui était une marque américaine, ça représentait une promesse de confort.
On s’est éloignés les uns des autres à travers différentes expériences et aujourd’hui, les Européens notamment, ne rêvent pas de devenir Américains. Or, quand vous êtes né au Kazakhstan ou au fin fond du Bangladesh, le modèle américain fait toujours rêver et fantasmer. Même quand vous êtes chinois, vous rêvez de ce confort et du fait que le travail vous amène à la réussite, avec un cadre de loi qui vous protège. Finalement cela existe très peu dans le monde.

Quel conseil donneriez-vous à un voyageur décidé à partir aux Etats-Unis ?

Il faut lire, notamment Alexis de Toqueville, se renseigner un peu pour comprendre ce qui a forgé l’histoire de ce pays. Lorsque l’on part, il faut se donner des buts et savoir ce que l’on veut voir. C’est impossible de faire les Etats-Unis en deux semaines, on peut simplement cerner une région. Nous avons une image très simpliste de l’Amérique avec beaucoup de clichés. C’est intéressant d’y aller l’esprit ouvert. Il faut être prêt au contact avec les autres et cela peut se faire avec une grande facilité, c’est merveilleux.
Le dépaysement est total à condition de ne pas s’arrêter aux apparences.

Avez-vous changé en tant que voyageur depuis votre premier voyage ?

Je n’ai plus peur des autres. Je me souviens d’un grand voyage quand j’étais jeune, l’avion dans lequel j’étais avait perdu un moteur, alors nous nous sommes posés par hasard au Bangladesh. J’avais un peu peur de sortir de l’hôtel parce que le monde était tellement différent. Maintenant je me précipite vers les autres, c’est le contraire. Cette peur de l’autre s’est évaporée. Je trouve les gens formidables et j’ai toujours envie de voyager.

Savez-vous quelle sera la prochaine destination ?

Là je suis en train de travailler en Europe. On ne se rend pas compte à quel point nos voisins sont profondément différents de nous dans leur esprit. Entre la conception du monde d’un Italien, d’un Grec ou d’un Espagnol, dans le Sud par exemple, il y a tout un monde qui nous sépare.
"Chroniques d'Amérique" de François Hauter, éditions Carnets Nord, 2010, 233 pages.

Propos recueillis par Célia Veloso
Publié le 04/05/2010