Interview de Sandrine Mercier de "Au Détour du Monde"

Interview de Sandrine Mercier

Depuis six ans, tous les dimanches, Sandrine Mercier fait vibrer France Inter au rythme des voyages qu’elle fait avec son équipe de reporters dans l'émission "Au détour du monde" qu'elle anime et produit.

Sandrine MercierSandrine emmène l’auditeur dans ses bagages pour une exploration sonore et l’encourage à ne pas laisser sa conscience derrière lui en se posant les bonnes questions pour façonner un voyage intelligent, donc d’autant plus enrichissant. Pour discuter des thèmes favoris de l’émission, mais aussi de ses expériences personnelles, Sandrine nous reçoit chez elle en toute simplicité. Au détour de l’interview, la discussion prend des allures d’évasion…

Quel est le concept de votre émission sur France Inter ? Quels angles propose-t-elle ?

On est sur le service public, donc l'idée c'est de faire voyager les gens, de les emmener sur des voyages intelligents. On ne parle jamais de clubs, des meilleurs prix. On essaye de comprendre ce qui fait l'attrait d'un pays, et de donner des indications, des idées pour des voyages sympas et responsables, durables. Ça c'est la partie reportage. Il y a aussi une tendance marquée 'tourisme responsable' parce qu'on aide les auditeurs à se poser des questions: pourquoi voyage-t-on? Qu'est-ce qu'on veut aller voir? Comment doit-on se comporter sur place? Comment faire pour limiter l'impact du tourisme sur l'environnement? Même si l'émission n'est pas estampillée 'tourisme responsable-écolo'. Et puis, la partie journalisme va s'intéresser à des thèmes comme  «Est-ce la fin annoncée des agences de voyages avec l'avènement d'Internet? », « Le voyage de luxe se démocratise-t-il? » ou alors tout simplement « Où et quand partir? », etc.

Pour vous aider à répondre à ses questions, vous invitez des auteurs, des réalisateurs, des chercheurs et conférenciers. Y a-t-il des thèmes-phares? Comment sont choisis les sujets et sont organisés les déplacements ?

Au festival Grand Bivouac d'Albertille avec le Papou ModidgéOn y va beaucoup au feeling en essayant de varier. Quand on reste un mois dans le pays, on va fractionner en faisant plusieurs reportages dont certains seront ressortis un peu plus tard pour échelonner. On fait aussi en fonction de l'actualité, des tendances, des coups de cœurs.
Nous sommes une équipe avec le statut intermittent du spectacle. Deux reporters font un sujet tous les 15 jours, mon assistant en fait 4 par an et moi je pars aussi. Souvent, on me propose des sujets, des sons, mais je ne diffuse rien, c'est juste une petite équipe qui est en charge des reportages. Enfin, ce sont surtout les reporters qui voyagent. Mais on retrouve pas mal de tampons dans mon passeport ! Le dernier en date, le Bénin la semaine dernière.

Comment en êtes-vous venue à ce magazine voyage ?

Tout a commencé avec un tour du monde d'un an il y a maintenant 20 ans. Il n'y avait pas Internet, j'évitais les cabines téléphoniques parce que je ne voulais pas forcément donner de nouvelles. J'étais vraiment partie dans l'optique de me déconnecter, de fuir aussi, de me poser des questions, de vivre une aventure. Moi je sortais de Sciences Po avec en poche une maîtrise en économie et un 3e cycle en gestion des Ressources Humaines. J'avais un bon poste dans une grosse boîte, et je pleurais tous les soirs en rentrant: ça ne m'allait pas, il me fallait une rupture nette. Et puis j'ai toujours aimé la radio, donc pendant mon voyage, je me suis munie d'un bon vieux walkman-enregistreur K7, et tout est parti de là. Je voulais partager mon expérience avec les gens, les faire voyager par procuration, leur faire vivre ce que moi j'avais vécu et leur donner le goût de l'évasion. En rentrant, j'ai intégré « Les Enfants d'Inter », un genre de studio-école pour que les jeunes puissent faire leurs preuves. Il fallait préparer une chronique, un billet, un enregistrement musical...et faire une maquette d'émission. La mienne s'appelait « Larguer les amarres ». Je suis arrivée dans les premiers au classement, puis j'ai été engagée dans l'émission « La France retrouvée » qui traitait du développement des régions face à la désertification. En 3 ans, j'ai fait à peu près 120 reportages. Ensuite, tout était enclenché: après la France, ça a été l'Europe, puis un magazine de société et de culture. Moi je continuais mes voyages: la Chine, le Groenland. Là-bas, pendant 2 mois j'ai présenté une chronique radio de 3 minutes en direct. Chaque année, je proposais une émission voyage, mais à l'époque il y avait déjà Claude Villers, le 'Monsieur Voyage' d'Inter. Puis il a pris sa retraite. Moi j'avais encore lancé une proposition d'émission et j'ai repris le créneau.

Quels ont été vos coups de cœur et vos coups de mou dans votre vie de voyageuse ?

Je suis partie avec mon ami et ma fille à Gênes. Là, on a eu un excellent contact avec le gérant de la pension où on logeait. Il ne savait pas que j'étais journaliste et on passait des heures à discuter avec lui de la ville, il nous racontait plein d'anecdotes. D'ailleurs, ça c'était chez lui [NDLR: elle nous montre son dessus de canapé], il m'a expliqué que ça représentait un arbre de vie, qu'à Gênes tout le monde en a un, il m'a raconté tout l'historique. sandrine MercierEt en partant, il me l'a donné! Voilà, on va assez souvent en Italie et on n'avait aucune idée de ce qu'on allait trouver à Gênes. Et puis cette rencontre nous a complètement transformé le voyage alors qu'à priori, on n'en attendait rien de spécial. En plus il avait plu pendant 4 jours mais notre Antonio nous donnait plein de conseils, des bons tuyaux, il nous confiait à des amis restaurateurs, etc. Comme j'ai toujours mon matériel sur moi, j'ai voulu l'interviewer. Et il n’a pas voulu parce qu'il disait qu'il était comme ça au naturel et qu’il n’avait pas du tout envie de faire de la radio. Alors on s'est échangé des cadeaux, on est reparti avec un paquet de pâtes et le tissu, et on lui a envoyé un DVD.
Les galères, elles, sont souvent liées à ma fille! A Cuba elle s'est fait mordre par un chien donc on a passé pas mal de temps à l'hôpital. Là, on a compris le système cubain: le gars chez qui ça s'était passé nous a supplié de ne pas dire que l'incident avait eu lieu chez lui parce qu'il ne payait plus les cotisations à l'état et donc on allait le retrouver. En plus il fallait déclarer la présence d'étrangers chez soi. Et puis il fallait changer le pansement tous les 3 jours donc là, le voyage a été un peu chaotique.

On peut aussi vous retrouver sur le blog de l'émission, et participer à un concours de carnets de voyages.

Le blog est alimenté lorsque l'on rentre d'un voyage. On y met un petit mot instantané sur ce qu'on vient de vivre, et on annonce les prochains beaux sujets. Et puis c'est la 4e saison du concours. Les auditeurs nous envoient un CD, c'est très libre. Certains font ça de chez eux, ils nous racontent leurs rêves en mélangeant des sons et des musiques enregistrés qui les évadent. D'autres font ça de manière très professionnelle. D'autres encore sont des voyageurs lambda qui ont pris du son et on posé leur voix en construisant un sujet. Il y a de tout, paradoxalement il y a beaucoup de jeunes (on sait que France Inter n'est pas vraiment une 'radio jeune'). Les ¾ ont moins de 26 ans. Pour certains passionnés de radio, c'est l'occasion de diffuser leur travail dont ils ne vivent pas, mais qu'ils veulent partager. 

Ce concept du voyage sonore est intéressant, surtout à l'heure actuelle où l'image et l'esthétique ont tant d'importance dans nos sociétés.

Benito à Vinalès qui roule ses cigaresOui, on voyage en aveugle. On ferme l'écran et on n'est animé que par les oreilles avec des gens qui parlent et qui racontent. Parce que le voyage sans histoire, c'est monotone. On essaye aussi de se mettre un peu en scène: « Il fait chaud, la plage est sublime, vous entendez l'eau? Il y a là-bas un village de pêcheurs, je vais aller les voir ». Et le matériel est très pratique, discret, facile à sortir pour garder l'instantané. Même si tout est travaillé en amont. Mais du coup, on fait aussi face à l'imprévu. Au Bénin, j'ai eu l'impression d'avoir dormi dans une prison posée sur un carrefour tellement il y avait de bruit. On était chez des curés, c'était vraiment très spartiate et à 7h du matin, j'ai pris le son dans le vacarme. Ça nous renvoie aussi à la réalité des choses parce que parfois, l'authenticité du voyage est tronquée du fait de notre statut de journalistes. On aura tendance à vouloir bien nous recevoir, à nous loger dans de beaux hôtels, etc. Là, on était au cœur des choses, sans fard. De toute façon, au Bénin ils n'ont pas trop le choix.

Sur le blog de l'émission, on peut lire dans votre profil: « Je voyage le matin à vélo, à midi avec des baguettes, le soir dans les livres, le dimanche à la radio, et quand j'ai envie...un peu plus loin ». Est-ce votre conception du voyage ?

Oui! Déjà, je ne circule qu'à vélo. Ça me maintient en forme, en mouvement et je peux réfléchir sans être coincée dans un bus. Lire et goûter des choses qui m'emmènent ailleurs font aussi partie du processus. L'idée c'est de trouver du dépaysement partout. Je peux décider de sauter dans le train et de passer la journée à tel ou tel endroit, comme à Provins, ou même à Villiers-le-Bel, juste parce que je ne connais pas. Je suis super curieuse, j'ai la bougeotte, je ne peux absolument pas rester une journée chez moi. Même depuis que j'ai ma petite fille, on l'emmène partout faire un petit tour. Si je suis à l'arrêt, ça m'étouffe. Il n'y a que dans le mouvement que je me sens vivre. Ça devient pathologique! Moi je ne sais pas aménager un intérieur, prendre soin d'une maison. Quand j'ai deux heures devant moi, je sors. Ça se passe dehors.

Comment se fait le choix de vos vacances ?

On part voir la famille en Savoie et on déborde quelques jours autour, en Autriche ou en Italie. Et puis j'ai pas mal de copains en Europe, à Bruxelles, Londres, Düsseldorf, Barcelone. Plus loin ce sera surtout pour le travail. Je reste quand même très France. Mais là encore je dois faire quelque chose, comme un stage de poterie dans l'Aveyron, un autre de peinture dans l'Hérault. J'ai toujours envie d'apprendre, de développer ma créativité. Je ne vais jamais à la plage, j'y suis très malheureuse! Au Monténégro l'année dernière on y est restés deux jours et il a fallu rentrer dans les terres pour voir des choses intéressantes qui m'ont énormément plu. Il y a quelques années, j'avais du rester dans un club en Turquie pendant une semaine pour animer les matinales l'été (5h-9h tous les jours). J'ai lu toute la semaine, j'ai fait « Tatie Voyage » pour la 1ère fois de ma vie dans un club!

Dans votre livre « Le Tourisme » écrit en collaboration avec Richard Vainopoulos, vous abordez des idées reçues sur la première activité économique mondiale. Comment a été conçu cet ouvrage? Est-ce un guide pratique du voyageur éclairé ?

On a discuté des thèmes entre nous, lui voulait parler des cartes de crédits et des listes noires des compagnies aériennes, moi de la pollution et de l'écotourisme, et l'éditeur nous a proposé d'autres thèmes. On n'est pas donneurs de leçon. La question qu'il faut se poser, c'est pourquoi on voyage. Peut-être n’a-t-on pas besoin d'aller au fin fond de l'Afrique pour aller à la rencontre des gens. Si on prend le train pour la Belgique, ou le bateau pour Tanger, on en rencontre aussi. Pour certains, ce discours paraît facile parce que moi j'ai beaucoup voyagé et je peux paraître blasée. Mais il faut vraiment se demander quelle est la finalité de son voyage, et se détacher du 'voyage-consommation', celui qui donne l'impression de façonner la personne, de la poser en tant qu'individu 'qui a fait' l'Afrique, l'Asie, etc. Et qui du coup fait partie d'une certaine catégorie. Quant-à ceux qui voyagent pour se reposer dans un club...je ne sais pas trop quoi leur dire. S'ils ont besoin de se reposer, ils peuvent très bien aller en thalasso. Ce n'est pas du voyage dont ils ont besoin. Et puis en plus on sait que 80% de ce qu'on dépense dans les clubs ne revient pas aux pays du Sud, on leur prend leur eau pour les golfs, etc. Des efforts sont faits, il faut voir comment ça évolue. Mais pour se reposer, on peut très bien se louer un petit gîte pas forcément loin de chez soi.

Et vous, avez-vous encore des fantasmes de voyages ?

J'ai beaucoup fait le Nord et les destinations d'hiver. Maintenant je suis plus portée vers les pays chauds. Je ne connais pas du tout l'Amérique du Sud, il va falloir que je me mette à l'Espagnol pour aller au Venezuela, en Colombie. Mais je me ‘contente’ aussi de ce que je fais ! Par exemple j'ai a-do-ré Alger!

Quels sont vos projets?

Encore des voyages et un magazine papier qu'on va lancer vers juin. La maquette est en cours. C'est un autre métier, une autre expérience!

Un petit mot pour l'e-Voyageur ?

Le voyage ne doit pas servir à aller vers des images toutes faites. Il faut parfois se placer dans une situation décalée qui va surprendre. Il n'y a pas de voyage raté, il y a juste des moments qui bousculent les certitudes. Et puis ce n'est pas uniquement une semaine par an, c'est une attitude d'ouverture, de rencontre, de respect des gens, un état d'esprit. On n'est pas non plus obligé d'aller loin pour voyager. Il suffit parfois d'aller au bout de la ligne de bus ou de RER, sans guide, sans rien, juste pour voir, manger un bout, discuter avec les gens et tout simplement voir ce qu'on peut y vivre.

En savoir plus…

« Au détour du monde », tous les dimanches sur France Inter de 16h à 17h
Site de l’émission : Au detour du monde / France Inter
Blog de l’émission : Au détour du monde / blog émission

Prochains thèmes:
21 février : Faut-il oser le tourisme médical ?
28 février : En direct du salon de l'agriculture: la vache autour du monde
4 mars : Voyager avec bébé
14 mars : Est-ce la fin programmée des agences de voyages?
21 mars : Les pèlerinages
28 mars : Voyager chez l'habitant

« Le Tourisme », par Sandrine Mercier et Richard Vainopoulos. Le Cavalier Bleu, coll. « Idées Reçues », 2009, 116 pages.

Propos recueillis par Audrey Bonnet le 15/02/2010

Crédits photos : © Sandrine Mercier; Radio France : Christophe Abramqwitz