Au Coeur de l'Inde

Interview d'Amandine et d'Eric Chapuis

Jeunes mariés, Amandine et Éric Chapuis décident de partir pour un voyage de noces d’un an en Inde afin de vivre pleinement leur engagement.

(Juin 2009)

Eric et Amandine ChapuisIls ont traversé l'Inde pas à pas, tels des pèlerins, du sud au nord, trouvant le sens de leur marche dans les rencontres au fil du chemin.
Entre ferveur et sagesse, doute et déraison, ce voyage hors du commun a développé en eux le plus précieux des trésors : une foi profonde en la nature humaine.
  ...notre marche en Inde nous a poussés à nous interroger sur notre perception de la foi, de la liberté, du temps.

Pour votre voyage de noces, vous avez décidé de partir en Inde. Pourquoi avoir fait ce choix sachant que la majorité des couples préfèrent passer sa lune de miel sous le soleil des îles paradisiaques ?

Si le voyage de noces est en effet souvent associé au rêve d’un bonheur béat sur une île paradisiaque et déserte, il nous est apparu au contraire l’occasion d’ancrer notre engagement dans une réalité quotidienne, sans filet de protection, au contact des autres. Quel plus beau choix alors que celui de l’Inde, « pays de l’humain » par excellence ! Nous avions découvert ce pays fascinant et terrifiant à la fois, à travers ses penseurs, sa littérature, ses films et sa musique. Il s’agissait maintenant de confronter nos impressions à l’expressivité du terrain et aux paroles de ses habitants. Et pour nous immerger plus profondément, nous avions opté pour la marche, un formidable moyen de connivence avec un territoire et ses hommes. Plus qu’un test de fiabilité pour notre couple, il s’agissait simplement de prendre la route. La pointe sud serait notre point de départ, l’Himalaya notre destination, et entre les deux, un itinéraire à inventer au jour le jour à travers les campagnes indiennes. N’est-ce pas excitant ?

Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez vu du système des castes en Inde ?

Il faut préciser que notre vision est naturellement partielle puisqu’elle s’appuie sur le témoignage d’Indiens rencontrés majoritairement dans les campagnes reculées. Si le système de castes est officiellement aboli depuis l’Indépendance (en 1947), l’appartenance aux castes perdure dans les esprits. Pour preuve, cette façon de décliner une identité depuis le nom et l’origine familiale jusqu’à la religion et la caste ! De plus, un dispositif de discrimination positive (mis en place dès le 19e siècle par les Britanniques et renforcé à l’Indépendance) nécessite que les basses castes soient répertoriées pour leur faire profiter de places réservées dans l’administration et les universités. Enfin, pour la plupart des jeunes avec qui nous avons parlé, ils ne pouvaient envisager qu’un mariage arrangé au sein de leur caste afin de respecter la volonté de leurs parents et plus généralement l’ordre universel. Il faut dire que les histoires de couples expulsés par les villageois pour avoir osé enfreindre la sacro-sainte tradition, ne manquent pas… Nous avons d’ailleurs rencontré un couple ayant fait un mariage d’amour, de caste et de religion différentes, ayant fui familles et village pour cela.

Vous dîtes dans votre livre à propos d’un jeune indien appelé Ajay : « Il n’est pas le premier à voir ainsi dans les inconnus que nous sommes plus qu’un hasard : une providence quasi divine». De quoi avez-vous pris conscience à ce moment-là ?

Un peu à l’image de l’expression française « le client est roi », en Inde, c’est l’invité qui est sacré ! « Guest is god » est l’expression utilisée par plusieurs de nos hôtes pour nous le signifier, en plus de l’accueil démesuré qu’ils nous offraient parfois. Ajay est un jeune garçon rencontré au nord du Rajasthan, considéré par sa famille comme un pandit, pour sa grande érudition des textes sacrés et sa pratique religieuse. Pour lui, notre rencontre n’est décidement pas le fruit du hasard mais bien l’expression de la volonté des dieux, qu’il se doit donc d’honorer. Ainsi, il jeûnera pour la bonne réussite de notre marche. Nous réalisons alors à quel point notre marche relève du pèlerinage, si ce n’est vers un lieu de prière en particulier, du moins vers les dieux que portent en eux la plupart des Indiens rencontrés.

Vous avez fait de nombreuses rencontres au cours de votre voyage, comment se faisait la communication entre vous et les individus que vous croisiez ?

En effet, le dialogue était essentiel au quotidien. Pour comprendre cette culture, il nous fallait aller au-delà des observations silencieuses, et recueillir les explications des Indiens, eux-mêmes. Pour cela, nous utilisions l’anglais. Compte tenu du peu de temps que nous passions dans chaque état (un mois en moyenne), et de la diversité linguistique affichée par l’union indienne (plus de 20 langues officielles), notre apprentissage en tamoul, malayalam, marathi, gujarati, penjâbi, ou hindi, s’est limité à quelques mots courants. Et, malgré nos efforts, les Indiens nous répondaient souvent en anglais. Dans les villes, il n’était pas rare que certains parlent 2 ou 3 langues. Nous avons surtout été surpris de constater que même dans les villages reculés du Rajasthan, il y avait bien souvent quelqu’un qui parlait anglais.

Quelle a été votre plus belle rencontre ?

C’est très difficile d’en isoler une. Notre marche n’a eu de sens que de cette multitude de rencontres, chaque fois plus marquantes les unes que les autres, et la diversité des situations dans lesquelles elles avaient lieu. Nous avons été touchés par la sérénité de Mary, septuagénaire endeuillée qui n’a pas hésité à nous ouvrir sa modeste maison ; le message de paix de Moubarak et Salim rencontrés dans le Gujarat ; le repas partagé en rase campagne avec deux hommes d’affaires passionnés de littérature ; ou encore la soirée passée avec Asha et Ganesh devant leur maison vide aux murs en terre, mais qui ont refusé que nous payions l’omelette pour laquelle ils s’étaient cotisés avec plusieurs voisins. Mais les belles rencontres ne sont pas seulement celles où l’on reçoit une aide, un toit, un repas. C’est aussi celles, dénuées de toute intérêt, qui consistent simplement à passer du temps ensemble. Nous pensons, par exemple, à un lieu d’accueil de laissés-pour-compte (personnes âgées, femmes n’arrivant pas à avoir un enfant et jeunes handicapés abandonnés par leur famille), dans lequel nous avons pris le temps de rencontrer chacun des pensionnaires, et dont l’une d’elles a été émue aux larmes.

Enfin, qu’avez-vous appris sur vous-mêmes lors de cette immersion en Inde et chez ses habitants ?

Nous ne sommes pas partis pour en savoir plus sur nous-mêmes, contrairement à cette idée reçue qui veut que le voyage, soit avant tout une quête intérieure. Nous partions, les yeux résolument tournés vers l’extérieur ! Pourtant, notre marche en Inde nous a poussés à nous interroger sur notre perception de la foi, de la liberté, du temps…
Nous avons ainsi réalisé à quel point notre sentiment de liberté ne découlait pas de la possibilité de nous déplacer dans n’importe quelle direction, sans aucune contrainte professionnelle entre autres, mais de la confiance que nous placions dans les êtres qui nous entouraient.
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Jeunes mariés, Amandine et Éric Chapuis décident de partir pour un voyage de noces d’un an afin de vivre pleinement leur engagement. Ils rêvent de l’Inde, qu’ils vont traverser pas à pas, tels des pèlerins, du sud au nord, trouvant le sens de leur marche dans les rencontres au fil du chemin. De simples sourires en confidences échangées le temps d’un thé, d’un repas ou d’une nuit, ils pénètrent au coeur de ce pays aux mille facettes. Leur route les conduit aussi bien dans le logis de pêcheurs chrétiens que dans la plantation d’un propriétaire musulman, un hameau d’intouchables, une famille de citadins laïcs ou un sanctuaire hindou. En huit mois de marche, le couple relie, via les rizières du Tamil N adu et les jungles du Kerala, les plages idylliques de Goa, le désert du Rajasthan puis les plaines du Penjab, enfin les contreforts sauvages de l’Himalaya.

"Au Coeur de l'Inde" d'Amandine et d'Eric Chapuis, éditions Transboréal, 2009, 373 pages.

Publié le 04/06/09