Saint-Jacques vaut-elle tous ces efforts ?
Panorama de Saint-Jacques de Compostelle Les pieds sont esquintés, le cœur fatigué et les muscles douloureux mais qu’importe, la dernière coquille est là devant vos yeux. Cette coquille, gravée dans le sol de la place de l’Obrario de Saint-Jacques et accolée au chiffre 0 vous emplie de sentiments contradictoires. Comme si vous veniez d’achever un bon livre, vous êtes à la fois satisfait et soulagé mais d’un autre côté confus et désemparé. Ça y est, votre voyage est terminé. Ce qui donnait un sens à chacun des trente derniers jours de votre vie s’envole, ce qui crée un vide, une gêne. Fuyez alors ces sentiments désagréables, enfouissez-vous dans Saint-Jacques, histoire de profiter au maximum de cette ville qui vous a fait parcourir tant de kilomètres.
Une fois franchie la Porta do Camino, vous vous retrouverez perdu au milieu de la place de l’Obrario, jonchée d’une montagne de sacs à dos et tapissée de vélos délaissés. La façade de la cathédrale vous défie et vous dévoile son insolente beauté. C’est là que vous vous dites que ce lieu imprégné de foi, déclaré Patrimoine culturel de l’Humanité par l’Unesco en 1985, vaut finalement la peine et que vous oubliez tous les aléas de votre parcours.
La cathédrale a été érigée à la place d’un mausolée païen dans lequel reposaient trois martyrs chrétiens et qui était accolé à un cimetière utilisé jusqu’au VIIe siècle. Le temps lui fait subir des modifications en lui imposant les modes et les styles de chaque époque. Ainsi, le plan traditionnel en croix latine et les trois nefs aux piliers cruciformes sont dissimulés sous les fantaisies baroques datant du XVIIe siècle et qui dévorent la façade. Le portique de la gloire (1180) sculpté par le maître Matéo en à peine vingt ans et structuré en trois arcs est l’un des chefs d’œuvres de cette cathédrale. Plus de 200 figures de granites rappellent l’origine romane de l’édifice.
L'intérieur de la cathédrale lors du botafumeiro
St-Jacques, Ville de la Culture de Galice
À l’intérieur, le voilà enfin ! Sous forme de statue d’abord. Au dessus du chœur, ce Saint-Jacques là se dresse de tout son séant et vous toise de son regard inquisiteur. Un niveau plus bas, dans la crypte, il est encore présent, plus en os qu’en chair, mais présent tout de même. Il repose dans son tombeau d’argent que des milliers de fidèles observent bouches bée. Le saint sait se faire désirer et dans cet antre enfoui dans la terre de Galice, on s’en aperçoit plus que dans tout autre lieu.
L’une des animations traditionnelles de la cathédrale se déroule lors des jours de grande affluence, des fêtes ou de donations importantes. Peut-être aurez-vous la chance d’en être le spectateur. Il s’agit de la tradition du Botafumeiro. Durant ce rituel, 6 tiraboleiros (tireurs de cordes en soutane) bataillent avec un système de cordes et de poulies pour mouvoir et faire osciller l’encensoir de 80 kilos qui est suspendu à son extrémité. L’encensoir géant ne manquera pas de vous étonner et de vous enivrer d’une odeur prenante d’encens (250 euros la dose !).
Centre d'art contemporain Galego, St-Jacques Le reste de la ville vous perdra dans ses multitudes de placettes, de passages et de ruelles étroites. Les maisons blanches aux toits orangés fourmillent et sont dérangées par la présence d’une trentaine d’églises. Du coup, treize musées sont nécessaires pour garder les trésors de la riche ville et cultiveront les jacquets qui s’en donnent la peine. Un grand ensemble de parcs et de jardins permet le renouvellement de l’air et ombrage les pavés érodés. Enfin, l’université, 5 fois centenaire, exacerbe encore plus l’importance et le poids de la ville, point central de la Galice.
30 km séparent Saint-Jacques du littoral atlantique. Alors si le cœur vous en dit et si vos pieds en sont encore capables pourquoi ne pas prolonger le pèlerinage et aller respirer les effluves iodées de l’océan. Certains acceptent ces trois jours de marche supplémentaires (le bus peut en trois heures amener les plus fatigués) et se rendent au Cap Finistère (Port de Fisterra). Ils y brûlent leur équipement, acte qui symbolise la fin du pèlerinage ou se contentent d’accrocher une chaussure, une cape de pluie ou un autre accessoire de marche à un pylône déjà bien vêtu.
C’est alors la fin ultime du voyage et il faut songer à repartir vers la vie quotidienne, vers les préoccupations profanes ; à refaire le trajet en sens inverse mais la tête bien plus remplie qu’à l’aller. Cette tête débordera de souvenirs, de prières et de contentement. Les images des différentes étapes parcourues, des différents visages rencontrés se superposeront et la satisfaction d’avoir accompli quelque chose de grand et de pieu, d’avoir rempli son devoir de chrétien emplira l’ex-jacquet.
Sophie Graffin
Publié le 26/05/2010
Crédit photos : © Turismo de Santiago