Nathalie et José Gomez

Interview de José et Nathalie Gomez

Revivez aux côtés de José et Nathalie leur randonnée itinérante de cinq mois à travers la Patagonie.

Entretien avec Nathalie et José GomezJosé et Nathalie Gomez ont décidé de faire prendre à leur vie une nouvelle direction le temps d'un trek de cinq mois à pied en Amérique du Sud. Ils allaient vivre des instants de pur bonheur, mais aussi des moments de doute et d'appréhension dans une nature tour à tour inquiétante et étourdissante de beauté. Cap sur la Patagonie !

Le voyage n’est pas au bout du chemin, le voyage est le chemin

Vous vous êtes lancés dans une expédition de 5 mois à pied à travers la Patagonie. Comment vous est venue l’idée, quel a été le déclic qui vous a permis de franchir le pas et de passer de vos treks de 10 à 15 jours à celui-ci ?

Effectivement, chaque année depuis 2000 nous réalisons un à plusieurs petits treks afin de découvrir une région, un massif montagneux ou un pays. Le trek, longtemps j’ai utilisé ce mot pour définir ce que nous faisions mais sans jamais vraiment vérifier son sens, ce n’était qu’un anglicisme de plus qui semblait bien correspondre à ce que nous faisions! En fait faire un trek, c’est plus que marcher, c’est faire une randonnée itinérante! C’est le côté itinérant qui est important. Qu’est ce que cela signifie? Marcher, bien sûr, mais c’est aussi aller vers l’inconnu! Chaque jour partir d’un point A pour aller vers un point B, aller de l’avant, chaque jour est une découverte, nous ne savons pas vraiment où nous allons. Rechercher un lieu de bivouac, la surprise d’une cabane de chasseur ouverte, un refuge, un gîte on ne sait jamais ce que le soir nous réserve. Ensuite marcher, et qui plus est sur de longues distances, c’est vivre à un autre rythme, c’est se mettre au diapason avec son rythme naturel, ses battements de cœur. Aujourd’hui tout va a 100 à l’heure, et la marche nous ramène à 4km/h ce qui laisse le temps de regarder, de découvrir, de sentir, d’entendre. C’est profiter de chacun de nos sens à chaque instant, c’est intense. Une phrase lue sur place résume bien la philosophie de notre aventure : « Le voyage n’est pas au bout du chemin, le voyage est le chemin ».

Tout le monde à un rêve, le notre s’est construit progressivement au fil de notre vie et de nos lectures. Partir ensemble, au bout du monde en marchant, partager des moments forts sans contrainte de temps. Mais entre les rêves et leur réalisation, il y a un fossé, notre raison nous ramène à la réalité jusqu’au jour où un événement survient et nous rappelle que tout est éphémère, chaque jour qui passe est un jour en moins, nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Dans notre cas, Nathalie est tombée gravement malade avec urgences, scanner, IRM, hospitalisation, trouble du système nerveux ayant un effet sur la locomotion entre autres choses. Et si demain elle ne pouvait plus marcher ? Voila notre déclencheur.

Vous dites avoir eu recours à des « lectures sportivement engagées » qui vous ont motivés et poussés à vous dépasser. Pouvez-vous nous dire lesquelles et quel effet elles ont eu sur vous ?

Il est vrai qu’une partie de mes lectures portait sur Mike Horn, René Desmaison, Christian clot, Nicolas Vanier, et d’autres aventuriers. Ils réalisent des choses exceptionnelles, je reste admiratif devant leurs exploits, ce qu’ils font est tellement engagés, ce sont des sportifs de haut niveau. Mais cela reste du domaine de l’inaccessible pour « Monsieur Tout le Monde ». Viennent ensuite les récits d’Alexandra Niel, Sylvain Tesson, Bruce Chatwin, Caroline Letrange. Et là, quelque chose se passe, une réflexion : “Tiens, ça nous pourrions le faire physiquement nous aussi ». Finalement c’est la même chose que ce que nous faisons, mais plus longtemps et sur une plus longue distance ! Mais que de problèmes de logistique, d’organisation il faudrait affronter ! Alors les choses se tassent. Sauf que, pour peu que le terrain soit fertile, alors la petite graine du voyage commence à germer, à pousser jusqu’à ce qu’un événement inattendu, une maladie par exemple, vous rappelle que nous ne faisons que passer sur cette terre, que la vie est courte !

Vous avez choisi la Patagonie pour ses étendues sauvages et ses paysages. D’autres lieux d’Amérique du Sud répondent à ces attentes et véhiculent autant de fantasmes. Pourquoi celui-là ?

pampaEn fait, notre projet allait au-delà de la Patagonie. Il consistait à partir d’Ushuaïa et d’aller jusqu'au Machu Picchu au Pérou en suivant la Cordillère des Andes : la terre de feu, la Patagonie, le désert d’Atacama, le sud Lipez en Bolivie, l’Altiplano et enfin les vallées andines et le chemin de l’Inca au Pérou pour arriver au Machu Picchu. Nous nous étions donné un an pour y arriver. 6000kms à raison de 25 kms par jour, c’était tout à fait faisable.

Malheureusement, alors que nous passions la limite de la Patagonie, près de Barranca, les problèmes de santé de Nathalie nous ont rattrapés en cours de route. Il n’en reste pas moins que nous sommes très heureux d’avoir traversé la Patagonie. Lieu mythique avec ses Gauchos, sa Pampa, la terre de feu, ses montagnes célèbres comme le Fitzroy ou le Torres, ses glaciers gigantesques, le Hielo Nord et le Hielo Sud, autant de lieux qui nous ont fait rêver non sans efforts et sans émotions.

La Patagonie, pays du vent qui rend fou ! On ne peut s’en rendre compte que sur place ! Nous avions déjà fait un trek en Islande, les vents y sont extrêmement violents, alors le vent on pensait connaître ! Faux ! Le vent de Patagonie, proche des 40e rugissants et 50e hurlants, il faut y aller pour savoir ce que c’est ! Un vent constant avec des rafales si violentes qu’elles vous jettent au sol ! Vraiment, nous sommes heureux d’avoir réalisé ce périple.

Ce n’est pas anodin de partir pour si longtemps. N’avez-vous pas eu des appréhensions ? Avez-vous entrepris une préparation physique spécifique ? Comment organisiez-vous votre suivi médical ?trek

Effectivement, il y avait beaucoup de chose à gérer et à coordonner. Mais comme l’a dit un célèbre général et homme politique français « là ou il y a une volonté il y a un chemin» ! Il a fallu gérer nos affaires administratives en France, le parcours, la logistique, l’équipement, la santé. Nous avons été épaulés par des membres de notre famille et des amis pour gérer par exemple notre courrier, nos impôts, la réception ou l’envoi de marchandises. Il nous aura fallu plus de 8 mois pour bien préparer notre voyage. Après, il faut être organisé, tenir à jour une liste de taches, un échéancier et ça se fait.

Vous avez raison, la trousse de secours et la santé a été également un point très important dans les préparatifs. Il a fallu étudier de près les régions traversées, détecter les zones de dingue, fièvre jaune, paludisme. Se renseigner sur les vaccins à faire, sachant que Nathalie ne pouvait pas se faire vacciner contre la fièvre jaune, il a fallu composer avec et adapter le parcours. Heureusement, j’ai été aidé et conseillé par mon médecin.

Il a fallu prendre en compte d’autres paramètres : les animaux, comme les pumas, ou des virus mortels, comme l’Hantavirus, peu connu, pour lesquels il n’existe pas de vaccin. Nous avions également étudié les conditions climatiques, établi une courbe des températures en fonction de l’endroit et du moment où nous y serions, suivi une petite formation météorologique.

Pour ce qui est de la préparation physique, nous habitons en Haute Savoie et nous faisons régulièrement de la montagne, presque chaque week end. De plus nous avons réalisé au cours de l’été 2008 la traversée de la Catalogne sur un axe Nord-Sud en partant d’Andorre avec pour objectif de rejoindre la Méditerranée près de Tarragone, soit environ 250 kms en 10 jours. L’idée était de tester la partie de notre équipement déjà en notre possession, de voyager sans carte, en se dirigeant par rapport au soleil avec des températures de 40°C à l’ombre et en allant vers les autres. 40°C et au-delà représentaient des températures que nous étions susceptibles de rencontrer. Pour le vent, comme je l’ai déjà dit, nous comptions sur notre expérience islandaise. 

A quel type d’équipement avez-vous eu recours dans cette aventure ? En avez-vous été satisfaits ?

Là aussi le choix de l’équipement était important. Les régions et climats que nous allions traverser, demandent quand même une certaine attention sur nos choix. La “qualité” ne peut pas être négligée. Elle inclue tout autant la fiabilité, la longévité mais aussi et surtout la sécurité. Nous devions être certains d’avoir le bon matériel au bon moment de manière à pouvoir nous concentrer sur notre marche plutôt que de s’interroger sur notre équipement. La qualité était essentielle pour la confiance et la garantie de pouvoir vivre pleinement notre projet.

Un autre critère non négligeable à prendre en compte était le poids de nos sacs à dos, il fallait donc combiner qualité et poids. Dans ce domaine le prix est inversement proportionnel au poids, à savoir plus c’est léger plus c’est cher ! J’ai alors découvert le concept M.U.L (Marcheur Ultra Léger), et l’optimisation du poids de chaque élément du sac à dos. Les Anglo-Saxons sont plus avancés que les Français dans ce domaine. A titre de comparaison un sac à dos 60litres d’un fabricant français pèse 2.6 kg et 1.6 kg aux Etats-Unis. Sur une course d’un jour ou deux, nous n’allions pas beaucoup voir la différence mais sur du long terme, les articulations en souffriraient. Même si chaque élément du sac à dos doit être analysé, certains méritent une attention plus  particulière comme le sac à dos, les sacs de couchage et la tente. Je pense que le choix de ces 3 éléments est primordial. Le sac en permanence sur le dos devait être adapté à notre morphologie donc réglable, confortable et léger. La tente allait devenir notre maison pendant un an. Elle devait être suffisamment solide pour pouvoir affronter les vents patagoniens, supporter de nombreux montages démontages, avoir un coefficient d’imperméabilité très élevé car nous allions dans la région la plus pluvieuse du monde, la Carretera australe du Chili. De plus nous avons opté pour une tente 3 places au détriment du poids. Nous nous sommes basés sur notre expérience en Islande, au climat rude comme la Patagonie, où nous n’avions qu’une tente 2 places, certes légère mais dans laquelle nous étions vite à l’étroit. Si nous devions rester plusieurs jours dans la tente en attendant que le temps se calme, il fallait pouvoir être un peu à l’aise. Enfin le sac de couchage allait être notre dernière protection qu’il ne faut pas négliger. Il allait falloir jongler entre chaleur, poids, confort et encombrement dans le sac à dos, sachant que chaleur et poids sont liés.
Ensuite viennent par exemple les vestes de pluie et coupe vent, les pantalons de pluie. Fallait-il prendre du pack lite ou non, du 2 couches ou 3 couches. Au final nous allions avoir plus de 70 éléments différents qui nécessitaient chacun une analyse. Tout est pesé de manière unitaire, les étiquettes des produits découpées, les housses enlevées de manière à minimiser le poids. Au total Nathalie allait avoir un sac pouvant atteindre 14 kg avec l’eau et la nourriture et moi 21 kg, ce qui est beaucoup.

En Octobre 2008, nous avons assisté au « Grand Bivouac » sur Albertville. C’est une manifestation annuelle sur 3 jours qui réunit des voyageurs de tous horizons. Nous y avons rencontré Christian Clot et lui avons décrit notre projet. Celui-ci nous a donné quelques conseils bien avisés et nous a parlé entre autre d’un chariot qui allait pouvoir nous être bien utile pour notre aventure : le Carrix. C’est un ensemble composé d’un harnais auquel s’accroche un chariot ingénieux qui permet de reporter la quasi-totalité du poids d’un sac à dos de 20 kg sur la roue, soulageant ainsi les jambes et surtout le dos. C’était la réponse à notre problème d’autonomie et de longévité.

Au final, j’aurais pu aller bosser dans un magasin de sport, je connaissais parfaitement tous les produits et leur technicité !

5 mois de trek à deux, c’est aussi 5 mois d’isolement. Comment gériez-vous cet effacement au monde ? Aviez-vous des nouvelles de l’extérieur ? En donniez-vous ?

Utilisant les cybercafés, nous avons été plus coupés d’Internet en France à notre retour que lors de notre périple en Amérique du Sud ! Dans nos pays développés, chaque foyer possède désormais son propre accès ce qui explique la rareté des cybercafés, contrairement aux régions que nous avons traversées où quasiment chaque village possède un accès. Il ne s’agit en fait que de la 1ère étape du développement, j’imagine que l’étape suivante apportera Internet dans chaque foyer. Toujours est-il que nous avions un blog et nous n’avons pas eu de problème pour le tenir à jour. Celui-ci nous permettait de tenir informés nos plus fervents supporters et surtout de consulter les messages associés. Nous avions beaucoup de témoignages de soutien, d’admiration qui nous réchauffaient le cœur et nous motivaient. Ces messages devenaient très importants, nous allions dans les cybercafés dès que c’était possible.

Est-ce un paradoxe avec la philosophie de notre voyage, de nous jeter ainsi sur notre boite email ? Je pense que ce n’est pas antagonique, nous recherchions en fait le contact avec nos proches et amis pour partager notre aventure. Notre objectif n’était pas de vivre en autarcie, mais de vivre un rêve commun, ensemble, d’être libres, libres de nos choix, libres de toutes contraintes, de vivre des moments forts. Profiter de chaque instant, de la nature, de nos efforts, s’enrichir et partager avec les personnes rencontrées. La liberté dans le voyage est relatif à chacun. Pour certains il s’agira de s’isoler, pour d’autres de voyager en voiture avec un téléphone portable.

Avez-vous eu des bonnes et/ou des mauvaises surprises par rapport à l’idée que vous vous étiez faite de votre voyage ?

Surtout beaucoup d ’émotion en posant le pied à Ushuaia ! Outre ce que représente cet endroit dans notre imaginaire collectif, pour nous c’était enfin la concrétisation d’un rêve. Ushuaia, le bout du monde. Naïvement, je me l’imaginais plus sauvage ! Par contre le premier village après Ushuaia fut le premier vrai choc ! Plus de touristes, plus d’asphalte, le Far West ! Des chevaux garés devant les maisons, de la poussière en suspension dans l’air, des gauchos avec leur grand couteau à la ceinture.

Mais le vent, oui, a fait parti des mauvaises surprises, et le froid qui va avec ! Vous pouvez avoir toutes les couches et les vêtements techniques du monde, le vent comme la volonté trouvait toujours un chemin.
Les bonnes surprises viendront de nos rencontres, des moments forts, plus pour nous que pour les locaux que nous croisions, j’imagine. Nous vivions avec tellement peu et de manière précaire, que le moindre confort ou la moindre attention devenait quelque chose d’intense.

Avez-vous eu des moments d’abattement et de découragement face à l’imprévu ou à l’inconnu ? Avez-vous connu la peur ?Village et volcan Chaiten

La peur, oui, une fois. Chaiten, c’est le nom d’un village chilien mais c’est aussi un volcan. 8 mois avant notre départ, le volcan est entré en éruption et le village du même nom a été dévasté et recouvert de cendres. Cela se trouve sur la Carretera Austral et lorsque j’avais repéré le parcours, nous devions y passer. J’ai suivi de près l’évolution du volcan, jour après jour, l’activité du volcan restait incertaine, et ce jusqu’au dernier moment sur place. Plus nous nous en approchions plus je me renseignais auprès des locaux et plus on me riait au nez « mais non, ne vous inquiétez pas, il n’y a aucun risque, le volcan s’est stabilisé ». L’arrivée dans le village fut un choc ! La nuit tombait, il pleuvait, les rues étaient dévastées, recouvertes de cendres, les maisons détruites, échouées sur une plage plus loin, des crevasses béantes coupaient les rues, personne en vue. Comment Les autorités chiliennes ont pu nous laisser arriver là !? Des 3000 habitants seuls une dizaine refusant d’abandonner leur maison vivent encore sur place. L’un d’eux tenait encore une auberge et nous nous y sommes installés, un peu rassurés d’être chez quelqu’un, nous étions d’ailleurs plusieurs touristes. C’est là que j’ai appris qu’il existait du « tourisme-catastrophe » !

Au moment de nous coucher, une première secousse. Nous nous sommes regardé inquiets et interrogés : était-ce normal ? Quand un volcan est en activité à proximité, difficile de rester serein. Aucun bruit dans la maison, nous restons couchés. Puis, vers 2h00 du matin, une nouvelle secousse plus forte nous a réveillés, et des bruits dans la maison ! Je suis allé aux infos « c’est normal, ne vous inquiétez pas ça arrive tout le temps ! » Plus possible de fermer l’œil de la nuit. Pour couronner le tout, en bas, des touristes chiliens étaient en train de se soûler ! Nous avons pris le bateau au petit matin, avec soulagement. Nous apprendrons à notre arrivée, trois heures plus tard que le volcan venait d’entrer en éruption ! Le village avait été évacué par l’armée ! C’est à ce moment-là que nous avons vraiment eu peur ! Incroyable coïncidence, 8 mois à surveiller ce volcan qui décide d’entrer en éruption le jour même où nous y sommes !
Nous avons connu le doute aussi, par exemple lorsque nous nous sommes retrouvé sans eau en terre de feu dans la baie Inutil ! Tous les points d’eau repérés étaient à sec, nous avions un vent de face supérieur à 100 km/h, il était très difficile d’avancer. La baie Inutil, quel nom ! Nous étions loin de l’axe routier principal, à 70 km du prochain village et à 70 km du précédent et pour couronner le tout, c’était le 25 décembre… Joyeux Noël ! Finalement, notre sauveur s’appellera Jules César, du nom de la bière sans alcool dont nous avons trouvé un coffre plein! La meilleure de notre vie. Même Nathalie qui n’aime pas ça en a bu une!
Oui, nous avons eu des moments difficiles, mais ils devaient faire partie de notre aventure, c’était l’essence même de notre voyage, tout pouvait arriver, nous n’avons pas été déçus.
Noël fut particulièrement difficile à vivre, loin de la famille, à l’autre bout du monde sous la tente au milieu de la Pampa chilienne en terre de feu. Nous avions un téléphone satellite surtout au cas où le problème de santé de Nathalie se manifeste, mais Noël a finalement été la seule raison de l’utiliser, pour nous rapprocher de la famille.

Quels ont été vos plus grands moments de bonheur qui sont venus contrecarrer ces aléas ?

Lac villa O HigginsLes plus grands moments de bonheur, ont été des plaisirs simples. Une pomme, une douche, un toit aussi rudimentaire soit-il, une table et des chaises. Nous nous souviendrons toujours d’un café et des galettes pur beurre offerts par Claude et José, un couple de retraités français. Nous étions au bout de la Carretera austral au Chili près de Villa O Higgins, un autre bout du monde. Nous étions resté plusieurs jours bloqués au bord du lac O Higgins à 60 kms d’un village argentin. Nous n’aurions du y rester que 2 jours mais le bateau n’a pas pu venir à cause du vent ! Le vent, encore ! Nous aurons attendu 4 jours alors que nous n’avions que 2 jours de nourriture et peu d’argent. Le luxe suprême sera 2 jours plus tard, nous retrouverons le couple pour croiser un fjord et cette fois, ils nous offriront un suprême de pintade aux carottes fait par Claude avant de partir de France et transporté en bocaux. Nos anges gardiens!

Autre moment fort, notre rencontre avec Hector un jeune Gaucho chilien. Hector nous emmènera dans sa famille, pain spécial, chants et danses chiliens, le père d’Hector nous donnera même des œufs au moment de nous quitter. Le repas partagé avec Luis et Yaline ainsi que la nuit passée chez eux, professeurs au bout du monde à Villa O Higgins. La rencontre dans des écoles primaires avec des élèves de 9 à 14 ans. Le plaisir de marcher ensemble dans des no mans land.

Vous dites que vous vouliez vous «vider de l’intérieur» pour mieux vous «remplir». Expliquez nous cette philosophie du voyage, qui s’apparente presque à une démarche de développement personnel.

Nous sommes conditionnés ! A grands coups de messages publicitaires, on nous dicte quoi faire, quoi et comment consommer, comment penser ! Nous vivons dans notre petit monde, dans une logique productiviste, avoir toujours plus, le dernier cri. Nos références sont basées sur ce qui nous entoure ou notre travail. Le « rêve américain » s’est exporté et devient le projet de vie de beaucoup de monde. Nous sommes passés par là, mais nous n’étions pas plus heureux pour autant. Nous avons voulu prendre du recul par rapport à notre mode de vie, nous recentrer sur des choses simples et essentielles, comme trouver à manger, trouver à boire et où dormir de manière à créer un vide en nous. En France, dans notre quotidien, tout est bien en place. Ce sont des repères pour certains, une prison pour d’autres, et il n’y a plus beaucoup de place pour l’imprévu. S’échapper des journaux télévisés, ne plus se préoccuper de l’estimation du moral des Français. Le vide créé et l’immersion dans un autre milieu nous permettrait de nous nourrir de ce nouvel environnement et de nous ouvrir à tout.

Comment ressortez-vous de cette expérience, physiquement et moralement ? Et si c’était à refaire, que changeriez-vous ? Que conserveriez-vous précieusement ?

Malgré les moments difficiles, ce fut une expérience unique et formidable. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli, à pied ! A notre connaissance seul un couple d’Américains l’aurait fait mais dans l’autre sens et nous avons compris pourquoi ! Le vent, encore et toujours. J’imagine que d’autres personnes ont probablement réalisé notre parcours tout en restant dans l’ombre. Toutefois, nous aurons toujours en tête Patricio près de Puerto Bertrand au Chili, sortant affolé de chez lui et nous invitant à boire un verre pour fêter les premiers marcheurs qu’il voyait sur la Carretera austral. Un jus de framboise mémorable ! Un de ces plaisirs simples.rencontre
Si c’était à refaire, nous profiterions encore plus de chaque instant ! C’est passé vite, trop vite, nous avons pourtant essayé de profiter de chaque seconde au maximum mais il y avait quand même un petit stress qui, je pense, nous a empêché de profiter pleinement. Mais comme on dit, c’est toujours la première fois le plus dur !
Côté équipement, nos choix techniques étaient plutôt bons. Par contre, sans hésiter, il faudrait partir encore beaucoup plus léger en supprimant certains éléments comme des pantalons, des teeshirts ou encore des batteries de rechange.
Sur la forme, j’avoue que tous les VTT qui nous dépassaient me faisaient vraiment envie. Là où nous avions besoin de 4 à 5 jours de nourriture et d’eau pour relier 2 villages, les VTT n’avaient au maximum qu’un jour de logistique, ce qui était donc beaucoup plus facile à gérer. Ce mode de déplacement reste proche de la nature, proche des gens même si le contact est moins naturel qu’à pied.
Physiquement, nous avons fini avec quelques kilos en moins malgré les pâtes quotidiennes. Moralement, le retour en France a été difficile car il a fallu rentrer par anticipation et gérer une maladie.

Vous êtes vous « remplis » ? Avez-vous d’autres projets ?

torresJe pense que nous sommes revenus beaucoup moins matérialistes, même si nous ne l’étions pas forcement avant. Cela nous a également permis de redéfinir nos priorités et nos projets de vie. Sur place, nous avons rencontré beaucoup plus de gens voyageant que nous ne l’aurions pensé, cela nous a même interpellé ! Nous pensions que notre démarche était déjà assez folle mais nous avons rencontré des personnes qui avaient tout lâché en France, maison, boulot pour voyager. Certains voyageaient depuis 3 ans, avec femme et enfants : partis à 4 ils étaient maintenant 5 ! Un couple suisse, parti d’Alaska en Vélo 3 ans plus tôt, tractait un enfant de 2 ans sur un vélo, incroyable ! Claude et José, nos anges gardiens à la retraite, étaient partis pour 3 ans autour du monde dans leur 4x4 aménagé. Nous savons maintenant pourquoi nous travaillons et ce que nous ferons à notre retraite.
A court terme, nous aimerions publier un récit de notre voyage, l’écriture est en cours, nous aurions besoin maintenant d’un éditeur.
Sinon nous tenions absolument à voir le désert d’Atacama malgré les problèmes de Nathalie. Nous avons fait demi-tour à San Pedro d’Atacama au Nord du Chili.
San Pedro nous attend maintenant à peine à 20 kms de la Bolivie.

Propos recueillis par Audrey Bonnet le 14/10/2009
Crédit photos : © José et Nathalie Gomez