De Espalion à Conques

Espalion

Après Saint-Côme-d’Olt voici la ville d’Espalion, plus belle encore sous les nuages bas. Mais quel encombrement de voitures, de passants, de vitrines débordant sur les trottoirs. Le retour à la civilisation, quel choc ! Je fuis à la hâte en direction d’Estaing. Hélas c’est un chemin de bitume qui m’attend le long du Lot ; rien de pire pour les chevilles. La visite du château me tentait, mais lorsque j’apprends qu’elle dure au bas mot une heure trente sans s’asseoir, mes genoux se dérobent, je renonce. Encore une visite remise à je ne sais quand, si mes pas me ramènent un jour ici… Au sortir d’Estaing la route longe le Lot encore tout embrumé à cette heure matinale, le silence est parfait, l’itinéraire ombragé, l’étape aisée.

« Ultreia, susheia ! » chantent les pèlerins. « Plus loin, plus haut », tel est leur mot d’ordre. Il est vrai que le chemin appelle à avancer, de façon irrésistible, à se projeter toujours plus avant. Par contre le mouvement ascendant me pose problème, suivant l’adage bien connu selon lequel « qui veut faire l’ange fait la bête ». La recherche de perfection spirituelle m’apparaît éminemment suspecte … et je n’en prends guère le chemin.

Ces derniers soirs je me suis régalée à lire un roman policier ; une telle lecture favorise la distraction plutôt que l’élévation. Pourtant des marcheurs de bonne volonté s’efforcent de me ramener à leurs vues, sans grand succès. Un pèlerin beau parleur m’offre une publication très catholique sur les vertus de la famille. S’il savait dans quel état se trouve la mienne, combien je suis éloignée de l’idéal qu’il prône ! Une Ursuline m’exhorte à exercer le lâcher-prise, sur ce chemin de pèlerinage conçu comme une métaphore de l’existence : des visages apparaissent puis s’éloignent, des liens se créent puis se distendent, il faut l’accepter.

Son discours me révolte. Pourquoi revivre sans cesse les mêmes difficultés sur un chemin difficile, épuisant, sans fin ni repos ? Quel sens lui donner ? Pourquoi se lever chaque matin, reprendre la route, épuisée, solitaire, les jambes encore douloureuses, à la poursuite

Puy-en-Velay

Demain tous s’en retournent chez eux, je continuerai seule la route. Je les plains. La marche à peine entamée, il faudrait déjà l’interrompre? Nous buvons une dernière tisane avant de nous séparer puis je quitte Nasbinals sans avoir visité l’église romane qui jouxte l’hôtel. Au fil des kilomètres on devient décidément paresseux.

A regret je quitte Yves, compagnon de marche dont j’ignorais le prénom, mais quelle importance ? Sur le chemin les étiquettes n’ont plus cours. Triste je pars sans me retourner ; si souvent dans la vie on s’imagine dire au revoir alors qu’il s’agit d’un adieu.

A l’étape du soir je retrouve une rescapée du groupe de randonneurs. En dépit des interdictions de son mari, elle a tenu à poursuivre le chemin, seule. Nous lâchons quelques confidences et je songe à la morne existence de certaines épouses résignées.