De Saint Palais à Saint-Jean-Pied-de-Port - Saint-Jacques-de-Compostelle

Larceveau

Puis nous reprenons le chemin vers Larceveau: gras pâturages, paysage vallonné, marche aisée… Sur notre route de beaux points de vue, la stèle de Gibraltar marquant le point où convergent les trois chemins du Nord : la route de Tours, celle de Vézelay, celle du Puy-en-Velay. Autant le dire, nous sommes déçus par la petitesse de la stèle que nous imaginions nettement plus imposante.

Par contre la chapelle de Harambelz réserve une heureuse surprise: datée du 11ème siècle elle est en pitoyable état, mais l’enthousiasme du préposé aux visites nous convainc. Propriété privée, cette église appartient aux descendants des donats qui soignaient les pèlerins en ces lieux. Un champ marque l’emplacement de l’ancien hôpital ; ne reste que la chapelle dont les peintures intérieures, même extrêmement dégradées, impressionnent.

A Larceveau je retrouve avec plaisir le couple zurichois. Je me réjouis de passer avec eux cette dernière soirée. Hélas nous nous retrouvons sept à table, en compagnie du couple intéressé par la Basse-Navarre. Leur conversation est indigeste et logorrhéique :
- Oui, c’est bien beau, le pays basque ; mais ce sont des terroristes, non ?
- Tu te souviens en Corse, Robert ? C’était pareil ! - Et voilà pour qui nous payons des impôts ! Beaucoup trop, d’ailleurs !
- Trente francs pour une créanciale ? C’est usuraire ! Un tarif de protestants!
La bonne soirée tourne en eau de boudin ; nous abrégeons les adieux, mais impossible de fermer l’œil. A cinquante mètres une fromagerie fonctionne en continu, alimentée par des poids lourds venus décharger leur cargaison. Le lendemain je reprends la route au radar, ravie de voir les talons de ce couple de pipelets que nous avons surnommés les Bidochon.

Je n’ai plus d’argent ! Faute de moyens la marche s’interrompt à Saint-Jean-Pied-de-Port, nous vivons notre dernière journée de marche. Cela me peine et je jure comme un charretier. Le pays basque m’a vraiment séduite et il me semble ne l’avoir qu’entraperçu. J’aurais bien, moi aussi, passé les Pyrénées, escaladé les monts jusqu’à Roncevaux, poursuivi la route avec d’autres. Au lieu de cela je m’arrête péniblement à Saint-Jean-Pied-de-Port, étourdie par l’atmosphère mercantile de l’endroit, frustrée des derniers kilomètres survolés en stop, incapable de tirer le moindre bilan de ma démarche.

Saint-Jean-Pied-de-Port

J’ai remporté mon pari : affronter la solitude et porter mon sac. Mais ce fut à grand-peine, l’épaule sans cesse en souffrance et la cheville enflée. Pourtant j’ai tenu bon ! J’ai apprécié la marche en solitaire, savouré la distance et l’éloignement, pris des vacances d’avec moi-même. J’ai vagabondé, mangé n’importe où, dormi sous les arbres, au creux des rochers. J’ai fait des rencontres et partagé mon pain, parfois j’ai râlé, j’ai pleuré, j’ai même prié, j’ai ri, aussi, lorsque j’ai bouclé avec Mireille cette étape du chemin, qu’elle s’est exclamée à Saint-Jean-Pied-de-Port : « Tiens, les Bidochon sont arrivés ! ».

J’ai croisé des marcheurs de partout, en quête spirituelle ou simples randonneurs. J’ai partagé leur repas, leur repos, leurs espoirs. Je repenserai souvent à ceux qui ont poursuivi le chemin, sont parvenus jusqu’au bout. Comment pourraient-ils secouer la poussière de leurs sandales et rentrer chez eux comme si de rien n’était, comme s’il était possible de rentrer indemne d’un tel voyage ?

Au retour, j’ai cru m’effondrer. J’étouffais, je fixais la brume bleue, vers le sud-ouest. Si seulement j’avais pu chausser mes sandales et m’échapper, à nouveau prendre le large, avaler la poussière et les kilomètres, toujours plus loin, peut-être plus haut...

  • Tu vas repartir ?
  • Qui sait ? Je voudrais rêver de Saint-Jacques sans jamais l’atteindre… J’ai parcouru plus de sept cents kilomètres et retrouvé mon point de départ, heureuse, un peu changée. Dans la fureur et le bruit, loin des églises et des étendues sauvages, hors de tout vagabondage, mon chemin passe par ici. Et c’est très bien ainsi !

Une croix