Acheter pour protéger ?

Les "éco-barons"

Aussi facile que de s'acheter une voiture ?

Acheter les derniers espaces sauvages de la planète serait-elle la bonne solution pour les sauver ? En tout cas, une poignée de milliardaires soucieux d’environnement en paraissent convaincus et ont décidé de tenter l’aventure. Du haut de leurs immenses fortunes, les « éco-barons » ne se sentent plus en droit de laisser cet immense gâchis continuer, et la manière la plus efficace à leurs yeux est de contrôler ces terres en les achetant.
Mais, il faut rappeler plusieurs points noirs dans cette histoire. Acheter des terres n’est pas une opération facile dans certaines régions. Dans certains pays dits du « tiers-monde », les droits de propriété sont fragiles ou inexistants. De plus, la plupart des riches occidentaux qui se lancent n'ont souvent que peu ou pas d'expérience de ces pays, sans parler de l'instabilité sociale ou institutionnelle qui y règne. Souvent ces aspects là ne sont pas pris en compte, et peu s’installent et s'intègrent, comme l’ont fait au contraire Doug et Kris Tompkins, dans la région qu’ils veulent sauvegarder. » En dépit de leurs bonnes intentions, les éco-barons ont fréquemment rencontré de vives résistances là où ils ont commencé à appliquer leurs méthodes.

Pour certains, ils apparaissent trop sûrs de leur puissance et de leur bon droit. Selon des spécialistes de la question, la solution serait de sanctuariser des territoires par des moyens démocratiques. Ainsi, la philanthropie écologique devrait venir seconder, et non pas remplacer, les campagnes traditionnelles en faveur de la protection de la nature. De plus, pour que l'action soit pérenne, il est essentiel d’obtenir la collaboration des populations locales. À l’heure actuelle, le défi majeur serait lié à l’acquisition et à la sauvegarde de terres sauvages et de pouvoir s’assurer que ces terres resteront protégées à long terme. Pour d'autres, acquérir un site pour le sauvegarder est plus simple et prend bien moins de temps que de tenter de changer les mentalités.

Hostilité et méfiance

La nature chilienne

Tout récemment, Douglas et Kris Tompkins, le couple de millionnaires américains, ont fait don au Chili et à l’Argentine de deux nouveaux parcs nationaux. Ils ont déjà ouvert onze parcs naturels, d’une superficie totale de plus de 800 000 hectares. Sur place, pourtant, nombreux sont ceux qui souhaitent les voir quitter les lieux. Des sentiments anti-américains et les intérêts locaux sont souvent les motivations premières des critiques. Selon les habitants des ces « terres sauvages », les Tompkins seraient avant tout de riches « gringos », qui, comme d’autres riches étrangers, tels que Ted Turner ou Sylvester Stallone, s’accaparent les terres de Patagonie pour en tirer profit. Ils ont été traités d’espions américains, frôlés par des jets de l’armée de l’air chilienne, menacés de mort et même l’église catholique s’y est mise.
Avec le temps, l’attitude des Chiliens à l’égard des Tompkins a fini par changer, selon Douglas :
« Aujourd’hui, beaucoup de gens viennent me remercier pour ce que j’ai fait. Sans ces projets, disent-ils, ils ne se seraient jamais souciés de préserver la région. » Pour qui se prenait donc cet Américain venu acheter des espaces immenses ? Dans une région où la présence américaine a souvent été associée à « coup d’État » ou synonyme de soutien à des dictateurs, la haine peut rester tenace. Là où vivent Doug et Kris Tompkins, se trouve également Ted Turner, le fameux magnat de l’industrie des médias et propriétaire terrien le plus puissant des États-Unis. Il y détient 600 000 hectares, la plupart situés dans les Rocheuses, qu’il exploite à des fins environnementales et commerciales (élevage de bisons…). Ted Turner s’est brouillé avec de nombreux propriétaires de ranch de l’Ouest américain lorsqu’il a introduit des loups dans ses réserves. Selon lui, pour retrouver une nature sauvage, il faut nécessairement en passer par là. Le fondateur de CNN est depuis traité comme un paria dans la région et quelques spécimens de ses loups ont été retrouvé abattus.

Qu’ils soient « éco-aristos » ou « éco-visionnaires », ces précurseurs sont lucides sur la situation environnementale et ils espèrent montrer l’exemple aux générations futures, peut-être un moyen de se donner bonne conscience aussi ? Rêveurs, visionnaires ou hommes d’affaires engagés, les « éco-barons » ne sont encore aujourd’hui qu’une poignée à travers le monde, mais ils espèrent en inspirer d’autres. Ce n’est peut-être pas La bonne solution, mais c’est une des solutions qui permettront de protéger la planète et ceux qui la peuple.
 

Célia Veloso
Publié le 21/07/2010