La Via Podensis

De Puy-en-Velay à Saint-Jean-Pied-de-Port, 700 km

Commençons par la plus fameuse et la plus courue (elle draine 70% des jacquets) : la Via Podensis. Son succès tient à sa valeur historique, à la richesse et à la variété des paysages traversées. Le randonneur athée peut sans aucun problème accompagner son partenaire touché par la foi, il ne sera pas déçu du voyage, même en absence de but religieux. De plus, les routes sont balisées et entretenues (GR 65, voir balisage), ce qui rend la marche et le roulement bien plus confortables et agréables : moins d’ampoules et moins de crevaisons !


 

Une route chargée d’histoire

Les 700 km qui séparent le Puy-en-Velay de St-Jean-Pied-de-Port ont permis, il y a bien longtemps, au premier jacquet d’exister.
En 950-951, l’évêque du Puy-en-Velay, Godescalc, quitte son monastère pour rejoindre la cathédrale de St-Jacques-de-Compostelle, nichée au cœur de la Galice (Patrimoine Mondial de l’Unesco depuis 1985). Il inaugure ainsi le grand pèlerinage qui rassemblera toujours plus de marcheurs jusqu’à aujourd’hui, où il reste l’un des plus populaires avec celui de Rome et de Jérusalem. St-Jacques est la troisième ville sainte d’Occident et Godescalc a donc été le premier maillon d’une longue chaîne qui s’est allongée de façon exponentielle et qui continue encore de s’étendre.
Puy-en-Velay est devenue grâce à ce moine entreprenant le départ historique du pèlerinage et la voie qui y prend sa source et qui a accueilli le premier jacquet s’appellera logiquement Via Podensis (dérivé du mot Puy).

En plus d’être devenue le symbole du pèlerinage, la via en question enchaîne les trésors et les vestiges à couper le souffle. La première partie tout particulièrement ferait presque oublier au jacquet qu’il est à la recherche de Dieu.
 

Les immanquables de la Via Podensis

Chapelle St-Michel
Chapelle St-Michel sur son rocher d'Aiguilhe

Ceci explique que la cathédrale lovée au cœur de la cité haute se nomme Notre-Dame de l’Annonciation et qu’elle accueille dans son propre chœur la « vierge noire ». Intrigante statue aux tonalités sombres, cette sainte vierge vous offrira son enfant béni en guise de récompense à votre visite.

Autre visite à faire : la chapelle St-Michel. Orgueilleuse, impériale, elle domine Le-Puy du haut de l’éperon rocailleux qu’elle a su domestiqué : le rocher d’Aiguilhe. 82 mètres de hauteur qui équivalent à 265 marches taillées dans la pierre dure d’auvergne la sépare du sol des Ponots (habitants du Puy). C’est Godescalc, le premier jacquet, qui a érigé ce « petit bijou d’architecture » (selon les dires de Prosper Mérimée) au sommet de ce piton de lave aux allures menaçantes. Au retour de son pèlerinage, le moine, soutenu par l’évêque de l’époque, construit sa chapelle « du retour » en hommage à sa longue pérégrination accomplie avec succès. Inauguré en 962, le site est aujourd’hui devenu le point de départ symbolique vers Compostelle pour les connaisseurs. C’est là que le voyage de Godescalc s’achève mais pour des milliers d’autres pèlerins, c’est là qu’il commence…

Avant d’entreprendre la grande excursion et de quitter le Puy, affrontez encore une dernière fois le vertige en vous rendant au pied de la statue Notre-Dame-de-France. Celle-ci surveille la chapelle St-Michel et la ville dans son ensemble du haut de son éperon insolite, celui qu’elle a su dénicher et qui est le plus haut de tous les pitons escarpés qui boursouflent la ville.

2/ Conques : Un refuge après les attaques du plateau d’Aubrac
 

Sentier en Lozère
Sentier en Lozère (48)

Dès que les pépites romanes du Puy seront visibles dans le rétroviseur, vous entrerez dans le plateau de l’Aubrac, ce que Julien Gracq appelait très justement un « vertige horizontal ». énuement au marcheur. A 800 m d’altitude, l’espace est vaste, aride et austère. Un peu de persévérance et de lutte contre les éléments naturels qui ont conservés leur bon droit sur ce territoire vierge vous permettront de trouver refuge à Conques.

Attention, vous entrez dans une ville de merveilles, labellisée « plus beau village de France ». Niché dans un petit vallon isolé du Rouergue (Aveyron), le bourg gravite autour de sa somptueuse et fameuse abbatiale Sainte-Foy. L’édifice est l’un des plus grands chefs d’œuvre de l’art roman (inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco depuis 1998) et se démarque par son tympan. Le demi-cercle de pierre renferme 124 personnages et présente un incroyable état de conservation pour une façade datant du XIIe siècle. Il est aisé de déceler de chaque côté du Christ qui trône au centre de la stèle les gentils à droite et les méchants destinés à l’enfer à gauche. Vous l’aurez deviné, le thème du tympan est le jugement dernier et est traité de façon remarquable.

Outre ce tympan, l’abbatiale possède une série de 250 chapiteaux qui chacun pris isolément permet d’inculquer aux plus jeunes les rudiments du christianisme. En effet, les figures des saints se succèdent en haut des colonnes pour illustrer les épisodes de la Bible et les immortaliser dans la pierre, visibles par les disciples rassemblés en nombre pour glorifier le christ.
 

Eglise Aubrac
Eglise lors de la traversée de l'Aubrac

La collection d’orfèvrerie que détient la ville contribue également à sa notoriété. Le Trésor est le seul en France à regrouper autant de pièces du Haut Moyen-Age et est l’un des cinq grands trésors européens d’orfèvrerie médiévale. Sa célébrissime Majesté de Sainte-Foy, seul exemple conservé des statues-reliquaires conçues aux environs de l'an mil a de quoi irriter les évêques des autres communes. Ce concentré d’or et de pierres précieuses figure Ste-Foy, assise sur son trône et couronnée, et renferme le sommet du crâne de la jeune martyre, rapatrié à Conques pour attirer les pèlerins. Car il faut savoir que ce qui fait le succès d’une étape religieuse est la présence de reliques susceptibles d’être vénérées. Une fois la relique trouvée, il ne reste plus qu’à construire un édifice pour l’abriter et qu’à attendre le pieu voyageur gourmand de miracles et de protection.

Enfin, l’abbatiale se pare de contemporain grâce à la présence de vitraux assemblés par les mains de Pierre Soulages en personne et qui distille une lumière tamisée mettant parfaitement en valeur l’attirail qui embellit l’intérieur de l’église. L’essentiel est vu mais vous pouvez prolonger l’escale par une déambulation dans le vieux bourg en arc de cercle qui charmera les amoureux de vieilles pierres et de cités médiévales. Prochaine étape : la vallée du Lot.

3/ Cahors, Rocamadour et Moissac : la douceur du Lot
L’Aubrac et son impétuosité, c’est de l’histoire ancienne. Vous entrez désormais dans des terres plus clémentes et moins orageuses. Le Lot est bien plus doux et accueillant que son concurrent auvergnat. Rocamadour, Cahors et Moissac ; voilà quelques lieux à aller explorer pour mieux saisir l’atmosphère de ce département des Midi-Pyrénées.
 

Rocamadour
Rocamadour

À Cahors (ville d’art et d’histoire depuis 2005), les pèlerins devront pactiser avec le diable. La ville est enserrée dans une large boucle du Lot et est prise en tenaille par une coalition de collines escarpées. Prisonnière, elle doit se libérer d’où l’existence de ce fameux pont : le pont Valentré, aussi appelé pont du Diable. L’architecte du XIVe siècle aurait vendu son âme au démon maléfique pour que celui-ci l’aide à achever sa construction dans les délais prévus. Il s’est ainsi sacrifié et grâce à lui, Cahors resplendit avec ce point de passage qui nécessite 6 arches pour soutenir les trois tours qui en font sa particularité. Aujourd’hui, le pèlerin doit accepter de poser son pied sur un ouvrage auquel le Diable en personne a participé s’il veut transiter dans Cahors. Qu’il se dise alors qu’il sera blanchi à St-Jacques !

Rocamadour exigera un petit détour et un éloignement des sentiers balisés. La cité à la tendance troglodyte n’est pas en effet au sommaire des villes de la Via Podensis. Mais sa coquetterie et son fromage de chèvre convaincront les plus curieux et les plus affamés de faire une halte supplémentaire et de rallonger de quelques kilomètres l’itinéraire. Avec 700 km de pérégrination, on en est plus à une dizaine près… Moissac marque la fin de l’odyssée dans le Lot. Profitez-en car la dernière portion du trajet « podensis » est moins aguicheuse et révèlera moins de bijoux patrimoniaux.
 

Abbatiale St-Pierre
Abbatiale St-Pierre, Moissac

Moissac est la dernière splendeur immanquable avant l’arrivée dans les Pyrénées et l’inévitable confrontation avec ses montagnes imposantes et intimidantes. Dans cette commune de Tarn-et-Garonne, le cloître ravivera vos récents souvenirs. Les quarante-six chapiteaux historiés parmi les soixante-seize qui existent rappellent ceux de Conques et pourraient laisser penser que narrer certaines scènes des Saintes-Ecritures via le média ancestral de la sculpture est banal. Loin s’en faut, ces chapiteaux imagés et très anciens restent très rares et sont des pièces d’exceptions. L’art roman est roi ici et ne s’est pas contenté d’envahir le cloître.
L’abbatiale St-Pierre est, elle aussi, marquée par ce style architectural d’antan. En témoigne son tympan illustrant la vision de l’Apocalypse et du même acabit là encore que celui de Conques.

Une fois les délicates ciselures des sanctuaires admirées, il vous faudra songer à partir pour vous diriger vers St-Jean-Pied-de-Port. C’est un peu en amont de cette grande étape, au lieu-dit de Gibraltar, que vous rencontrerez une stèle déposée dans le paysage en 1964 et symbolisant le point de jonction entre la Via Polensis et deux autres chemins qui auraient pu convenir à votre projet chrétien : la Via Lemovecensis et la Via Turonensis.

 

 

Sophie Graffin
Publié le 26/05/2010

 

Crédit photos : © ACIR/S.VAISSIERE ; © Office de Tourisme Le Puy en Velay ; © ACIR/S.VAISSIERE