Les trésors d'Egypte

21 janvier, rêves dans le désert blanc

Stéphanie me rejoint aujourd’hui, je la kidnappe à l’aéroport et je l’invite à manger un houmous  liquide sur les berges du Nil tandis qu’une pluie sablonneuse cingle nos visages et ajoute du croustillant à notre collation. Son baptême cairote est de courte durée car mes poumons réclament un peu de répit, alors nous filons chercher de l’air pur et des rêves furtifs dans le désert libyque. Amdi, le sosie de Jamel Debouzze nous accueille à Farafra. Il gagne notre confiance et en profite pour abuser de nous (pas sexuellement je vous rassure). Dans cet oasis, deux rêves sont accessibles, nous commençons par le plus coûteux qui consiste à se munir d’une bonne escorte, de quelques provisions, de plusieurs couvertures en poils de dromadaire et d’un véhicule plutôt tout terrain, pour explorer l’un des désert les plus fantastique du monde ; le désert blanc, qui mériterait d’ailleurs que je l’écrive en majuscule tant ce désert est enchanteur et dépaysant. Il est toujours difficile d’obtenir en photographie la même impression que sur le terrain, mais la sélection de photos que j’ai faite parmi les dizaines que j’ai réalisé sur place devrait tout de même vous donner une idée de la beauté  et de la magie du lieu. On s’amuse à déceler dans ces concrétions calcaires érodées, des profils d’animaux, des visages connus, des formes incongrues, des champignons comestibles, des comprimés effervescents…

désert

C’est une véritable chance d’être ici, dans ce décor comme jamais Hollywood n’en à imaginé, nous pourrions très bien être deux rescapés échoués sur une planète lointaine et inconnue, rien ne décrédibiliserait cette hypothèse. On se plait aussi à imaginer que nous sommes sur la banquise, cerné par des icebergs immobiles avec le luxe suprême de ne pas craindre le froid glacial qui règne en temps normal au Pôle Nord.  Le coucher de soleil sublime les gentils monstres du New White Desert et les poches pleines de fossiles et de pyrite, nous rejoignons le campement pour un repas frugal et une nuit sous les étoiles filantes. Tandis qu’un petit fennec vient lécher les casseroles en douce, nous nous prêtons au rituel de la chicha dont le glouglou particulier couvre à peine les gargouillements du ventre de Stef  (A croire qu’elle a avalé un dromadaire). Au réveil nous nous éjectons du dessous des couvertures pour aller admirer une dernière fois les environs, avec cette fois ci, un éclairage plus doucereux qui transforme les rochers en de gros nuages cotonneux dans lesquels on a une incompressible envie de plonger .

Avant de s’immerger dans le second rêve, nous faisons un détour par l’une des nombreuses sources d’eau chaude qui alimentent l’oasis en pétillant charitablement. C’est revitalisant et cela compense notre frustration de ne pas avoir pu croquer à pleines dents dans les appétissantes îles flottantes et les meringues croustillantes du désert blanc. Stéphanie à l’impression d’être dans le dernier film de Luc Besson « Arthur et les Minimoys » avec ce robinet géant au dessus de nos têtes qui crache furieusement de l’eau rouillée  (et aussi mouillée) de la même température que nos corps.

Le second rêve se trouve à coté du lieu de nos petits cauchemars, à savoir le bar restaurant de Jamel Debouzze où l’on nous soumet des prix de plus en plus prohibitifs et des cafés de moins en moins buvables.
Ce rêve dont je te parle depuis le début est celui de Badr Abd El Moghny, cet homme est un artiste à part entière. Bâtisseur, peintre, sculpteur, musicien, calligraphe, visionnaire,  il a consacré sa vie à son œuvre et son univers quelque peu primitif, construit autour d’une vision idyllique de son oasis perdu (aux deux sens du terme) est un véritable havre de paix et de méditation où les éléments naturels sont à l’origine de chaque création.

L’œuvre de Badr me fait penser à ce que notre facteur Cheval national nous a légué, il n’aime pas le mot musée et emploie celui de rêve pour décrire son lumineux travail.
J’espère que toi aussi, auras un jour l’occasion de partir à la rencontre de cet homme hors du commun qui a fait le choix, dans un pays très conservateur,  de prendre des risques artistiques et allez quelque peu à l’encontre du courant en sortant des sentiers battus.

Si ces photos t’on donné envie de partir à Farafra, ne salue pas Jamel Debbouze de ma part et évite de te faire arnaquer dans son hôtel (Al Waha) et dans son café. Son agence d’excursion n’étant sans doute pas la meilleure non plus, privilégie plutôt les excursions depuis l’oasis de Baharia où la concurrence entre les agences influence sur la baisse des tarifs. A bon entendeur, salam !

23 janvier, les trésors de El Qasr

Plus au sud, autre oasis. Autre oasis, autre village : El Qasr. En arrivant, un allemand me dit qu'il y a cinq ans, il voulait s'arrêter une nuit, il y est resté quinze jours et depuis, il revient chaque année dans cet hôtel tenu par un certain Mohamed. Je souris en lui disant que nous sommes assez pressés, que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir,  de sites à visiter, et que malheureusement nous pensons ne pas pouvoir rester plus d'une nuit.   Cinq jours plus tard, j'explique à une coréenne de passage à El Qasr que nous voulions simplement passer une nuit ici.... Tu dois bien te demander ce qui retient ainsi les voyageurs de passage ?

Déjà il y a Mohamed qui est attachant contrairement à de nombreux autres Mohamed sont collants. Il y a aussi la cuisine de Mohamed, le petit déjeuner de Mohamed, les bonnes blagues et la bonne humeur de Mohamed, les bons conseils pas toujours compréhensibles de Mohamed, sa curieuse façon de toujours dire « Why ? » qui m’oblige à lui répondre « Why not ! » avant d’éclater de rire ensemble. Pour te donner une idée, la chambre, le petit déjeuner gargantuesque servi sur la terrasse et le souper à volonté nous coûte par jour et par personne 4,5 euros.

On ne peut même pas lui en vouloir lorsqu’il nous prête, moyennant quelques lires égyptiennes, ses deux vélos (si ont peut appeler ça des vélos)  et que nous sommes obligés, deux jours de suite, de rentrer au bercail à l’arrière d’un pick-up suite à diverses avaries comme le pneu arrière qui se déchausse ou le pneu arrière qui se déchausse ou le pneu arrière qui se déchausse.

Ensuite il y a les habitants de El Qasr qui nous assomment de welcome, de hello , de riz de l’oncle Ben’s, qui nous étouffent sous leurs  sourires, leurs poignées de mains, leurs invitations à partager un thé. Bien sur, lorsque j’emploie ici les verbes assommer et étouffer c’est en donnant un sens positif à ces mots, même si c’est parfois un peu pesant, ça ne reste que du bonheur et pour le riz de l’oncle Ben’s  je me dois de t’expliquer, cher lecteur adoré, la signification. Quelques enfants nous interpellent parfois en disant « Unkeul Ben ?

Nous avons longtemps cherché la raison pour laquelle ils nous parlaient continuellement de ce vieil oncle américain producteur de riz jusqu’à ce que je suppose qu’il s’agisse d’une déformation due au téléphone arabe et dont la lointaine phrase originale serait : Do you have a pen ? (car les égyptiens ont tendance à prononcer un B à la place du P) Notre envie de continuer le voyage est aussi réfrénée par la nature environnante, véritable écrin débordant de luxure végétale, de trésors minéraux, de divines estampes, de variables lumières et de pâlichonnes étendues, réminiscences miniatures du désert blanc.

L’ancien village n’est pas non plus étranger au phénomène de séduction qu’exerce sur nous cette partie reculée de l’Egypte. Même si la population de chauves souris est supérieure à celle des hommes, l’âme de cette vieille citadelle est encore bien présente et, sans égaler pour autant le fantasme d’une glace au citron vert, la fraîcheur offerte par les ruelles couvertes et ensablées est la bienvenue en plein cœur de l’après midi,  alors que le soleil est à son paroxysme.

village

En résumé, que l’on soit passionné de nature, d’archéologie, de géologie, d’histoire, de randonnée, que l’on préfère les fallafels et les bananes aux steaks frites et aux pommes farineuses, que l’on ne craigne pas trop la poussière, ni les ordures ou les cadavres d’animaux dans les rues, on peut dire qu’El Qasr est un endroit où il fait bon vivre à condition de savoir se passer d’internet et de TF1.