De Conques à Carjac - Saint-Jacques-de-Compostelle

Conques

Je m’accorde une journée de repos à Conques, si tant est qu’on puisse espérer du repos dans cette bâtisse où les pèlerins entrent et sortent sans arrêt. Je salue tous ceux dont j’ai fait la connaissance, les plaignant de retourner à leur vie quotidienne. Le couple au chien regrette son pèlerinage imparfait, ma consoeur part retrouver son mari, maintenant qu’elle lui a prouvé qu’elle peut supporter son absence et marcher jusqu’à Conques, l’Ursuline regagne son couvent : je ne connais plus personne !

Je détaille le tympan de l’abbatiale : le réalisme des scènes infernales impressionne. Rien n’est épargné aux pèlerins qu’il s’agit de remettre dans le droit chemin : troubadour et médisant auxquels on arrache la langue, gourmand contraint de régurgiter les nourritures terrestres, paresseux gisant dans les flammes… L’appel à la conversion est efficace, mais je rejette cette culpabilisante religion.

Le soir j’assiste à un concert donné par Claire Désert, une pianiste remarquable. Dans la nef, la répartition des mélomanes prête à rire. Sur les bas-côtés, les places non numérotées sont toutes occupées par des pèlerins aisément reconnaissables à leurs vêtements négligés, leurs pieds sales couverts de pansements, leur mine épuisée et leurs nombreux bâillements.
Au centre des gens parfumés, bien vêtus: le contraste est comique. Sitôt le concert terminé, les pèlerins regagnent leur dortoir au pas de course ; jamais ils n’auront veillé si tard.

La remise en train est difficile. Après ce temps de repos je peine à avancer, le talon d’Achille enflé et douloureux. Je boitille durant les derniers kilomètres avant Decazeville, cité minière totalement glauque, sale et morte. Je me retrouve devant une porte fermée, personne à l’accueil, on se débrouille avec le code d’entrée. La chambre est horrible, aux couleurs agressives, vert et bleu pétants. De Figeac je ne vois rien, trop épuisée ; c’est aujourd’hui jour de fermeture, l’hôtel est désert. Il en va de même à Cajarc.

Alors survient un moment d’intense découragement et de profond vague à l’âme. Pour la première fois je voudrais tout planter là, ce pèlerinage inutile et ma solitude coutumière, rentrer chez moi. Mais pour y retrouver qui ? Personne ne m’attend nulle part ! Dans ma tête résonne cette chanson de Michel Berger : « En avoir marre de cette solitude… ».

Le soir, après un repas solitaire dans une pizzeria, je parcours « Eloge de la marche », un ouvrage acheté à Conques. Citant pêle-mêle Rousseau, Stevenson, Toepffer et bien d’autres, David Le Breton détaille avec humour toutes les raisons d’aimer la marche, surtout en solitaire, dans le silence et la liberté. « Je ne connais aucune pensée aussi pesante que la marche ne puisse chasser », écrit ainsi Kierkegaard. Rassérénée je m’endors.