Récit de voyage en Russie

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adeltaamalli

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25 Mars 2013
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Aix en Provence
La Russie : voyage en ex-URSS


En 1835, dans son ouvrage le plus célèbre, Alexis de Tocqueville plaçait la Russie sur un même pied d’égalité que les Etats-Unis, appelée qu’elle était à l’avenir, selon lui, à conduire le destin de l’humanité comme son alter ego américain. Depuis la Chute de l’URSS en 1991 qui a sonné le glas de ce rôle rempli bon gré mal gré, comme l’avait prédit l’illustre auteur, pendant une grande partie des décennies du XXème siècle, la Russie est rentrée dans le rang avant de connaître récemment un nouveau souffle de développement faisant penser que, peut-être, ce rôle lui sera à l’avenir encore une fois dévolue. C’est dans ce contexte que j’ai eu la chance de visiter le pays, par l’entremise principalement de ses deux plus grands pôles, Moscou et Saint-Pétersbourg, mais aussi de deux des points de leur région avoisinante respective[ii]. Cette chronique « à-contre touristique » rendra compte de cette visite en tentant toujours de garder à l’esprit, en arrière-fond, mais sans donner de réponse définitive, la question du retour supposé de la grandeur de la Russie.



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Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1835

[ii] Pour le compte du Tour Opérateur qui m’emploie, Idée Nomade, je m’y suis rendu afin de préparer un voyage pour l’un de nos clients




Moscou ou la nouvelle dialectique historique, capitalisme-religion orthodoxe, née de l’effondrement de l’URSS


Les embouteillages fous ; les larges boulevards circulaires qui ont pour centre la Place rouge, et pour rayons, une partie plus ou moins grande des avenues transversales longues de plusieurs kilomètres, et se dirigeant tout droit vers la banlieue moscovite ; les voitures de luxe que l’on rencontre un peu partout ; un métro performant qui ne laisse aucunement la patience d’attendre plus d’une minute une nouvelle rame ; un McDonald posé en bas de la Place rouge où, il y a peu encore, les régiments de l’Armée rouge, fer de lance du communisme mondial, défilaient fièrement devant le Mausolée de Lénine ; la rue Arbat, large et longue artère piétonnière dévolue au commerce urbain ; les étranges tours voulues par Staline et qui rappellent celles de Gotham City dans Batman ; tous ces éléments pris ensembles font penser que nous sommes là dans une de ces agglomérations typiques que l’on retrouve généralement en Occident, avec cette idée caractéristique dégagée par cette civilisation que tout, vraiment tout, est possible.

La présence du capitalisme forcené, on en ressent l’impact dans les immenses panneaux publicitaires visibles à chaque coin de rue de l’hyper-centre de la ville, et vantant les mérites des plus grandes marques américaines, telles que Coca Cola. Autrement dit, la marche évolutive de l’Histoire peut paraître déconcertante quand on sait que la ville de Moscou, de capitale de la Grande Puissance dirigeante de l’Internationale communiste, est devenue rapidement l’un des vecteurs mondiaux de la libre entreprise, à tel point que l’agglomération a aujourd’hui un des taux de l’immobilier les plus chers d’Europe et qu’elle s'est doté, comme bon nombre de villes de par le monde touché par le phénomène, d’un centre financier fait de gratte-ciel, appelé Moskva City.

Pourtant, la standardisation à l’américaine du mode de vie des Moscovites rencontre un épineux adversaire, la foi chrétienne orthodoxe. Celle-ci se matérialise partout dans les églises typiques de cette religion dont l’architecture privilégie les dômes reconnaissables entre tous, ressemblant à des champignons magiques comme ceux de la plus connue d’entre elles, la Basilique Saint-Basile le Bienheureux sise sur la Place rouge. A l’intérieur de ces édifices, les icônes représentant les images des saints que les Russes déifient littéralement, de telle sorte que chaque croyant salue personnellement l’image du saint-patron du temple[1]. C’est là que l’on rencontre, en fait, l’âme profonde de la « Sainte-Mère patrie » de la Russie, à peine écornée par plus de soixante-dix ans de communisme athée.

Une des expériences les plus émouvantes à laquelle j’invite tout visiteur de Moscou est d’assister à un office donné par un pope[2] dans une de ces églises. Elles ont lieu, semble-t-il, à toute heure de la journée sans rien y comprendre de leurs horaires, irréguliers. Leur coup d’envoi est donné par des chants religieux. En plus du pope, qui possède une surprenante voix de ténor telle que les Pavarotti et consort, seules les personnes au timbre supérieur à la moyenne sont autorisées à participer au cantique, les autres devant se taire dans une posture révérencielle. Cela donne un spectacle plus qu’agréable à entendre. Imaginez-vous marcher sur la Place rouge, en train de vous émerveiller de sa grandeur extrême, ou bien de contempler la Basilique Saint-Basile le Bienheureux, ou encore de vous apprêter à entrer dans le Goum, un « magasin général » de la grande époque du soviétisme devenu le chantre de la société de consommation. Imaginez-vous imiter les Russes de passage dans le quartier, qui, d’un seul mouvement, abandonnent complètement leurs activités quotidiennes pour suivre la direction de cette rumeur religieuse qui s’est harmonieusement déposer sur les oreilles. Vous décidez alors de vous rendre dans l’endroit d’où cela vous semble arriver, une église orthodoxe reconnaissable. En entrant, vous êtes ébloui par la noirceur du lieu, aucunement éclairé si ce n’est pas des bougies. Ici, pas de vitraux géants comme dans nos grandes églises gothiques. Des hommes au crâne dévêtu et des femmes possédant toutes un couvre-chef, comme un seul homme, ne font que suivre, en tournant le corps sur lui-même, le pope qui, tout en chantant de sa plus belle des voix, se déplace dans l’enceinte et agite un encensoir pour consacrer les icônes avec de la fumée qui se dégage de l’encens brulé. Malgré le son sortant de la bouche des fidèles en même temps que de celle de leur pasteur, un silence de cathédrale (c’est le mot !) règne et impose une attitude respectueuse. On ne peut rester indifférent face à ce déploiement collectif de foi, même si on ne la partage pas. On ne peut que l’admirer, et partant, ressentir une certaine connivence avec le peuple russe, avec son âme façonnée par des décades d’Histoire. Et se dire qu’elle est sans doute appelée à brûler de mille feux pendant des siècles et des siècles.



Saint-Pétersbourg où le voyage dans le temps est possible


Après Moscou, Saint-Pétersbourg est le deuxième pôle urbain du pays. Jeune cité, la ville fut la géniale création du XIIIème siècle commandée par Pierre le Grand, un tsar rêvant, après son périple incognito en Europe[3], d’arrimer sa nation à la culture européenne occidentale en lui offrant cette nouvelle capitale sur les bords de la Neva et de la Baltique.

De ce fait, et contrairement à la ville de Moscou qui invite à un voyage complexe permettant d’observer les lignes de failles actuelles et évolutives qui parsèment la vie quotidienne des Russes tiraillés entre leur foi passée et l’appel de l’avenir lancé par les promesses du capitalisme, Saint-Pétersbourg semble s’être figé dans le temps, donnant l’occasion à tout visiteur de se rapprocher au plus près, grâce à son architecture de rêve resté intact, de ce qui pouvait être le quotidien des Russes du temps des Tsars. Du moins dans leur capitale.

Goethe disait que « l’architecture, c’est de la musique figée ». Il est clair que dans cette perspective, avec le paysage urbain saint-pétersbourgeois exceptionnel, l’on est servi. Et de quelle manière ! Des nombreux canaux reliant entre eux les différents bras du delta de la Neva et la mer Baltique et faisant manifestement penser à la Sérénissime Venise, aux plus ou moins gigantesques palais inspirés tout droit de l’art architectural français initié par le grand Louis XIV et dont le plus fameux d’entre eux reste celui de l’Ermitage qui abrite, selon les Russes et devant le Louvre, le plus grand musée du monde, un véritable voyage dans les XVIII-XIXèmes siècles est enclenché. Sans oublier les nombreuses églises orthodoxes, dont les trois plus belles sont celles de Notre-Dame-de-Kazan, de Saint-Isaac et du Saint-Sauveur-Sur-Le-Sang-Versé (qui fait étonnamment penser à la Basilique Saint-Basile-Le-Bienheureux de Moscou). Elles délimitent traditionnellement le cœur historique de la ville qu’on appelle le Triangle d’Or. Celui-ci est centré sur la gigantesque place du Palais au milieu de laquelle trône, sur une colonne de plusieurs dizaines de mètres, le tsar Alexandre Ier, cela en commémoration de sa victoire éclatante sur Napoléon. Un retour vers le passé tsariste…

C’est que les Soviétiques, à l’issue heureuse de la Grande guerre patriotique[4], décidèrent de reconstruire à l’identique la ville détruite par le pilonnage nazi incessant pendant le siège de Leningrad[5]. Paradoxe de l’Histoire ou l'hommage stalinien est donné au passé tsariste.

Aussi, que l’on remonte la longue Perspective Nevski aux alentours de la Gare de Moscou, que l’on traverse les canaux sur les innombrables ponts de pierre au charme intact, ou que l’on s’apprête à pénétrer dans l’une de ces curieuses échoppes, situées dans les sous-sols des bâtiments classiques qui disposent toutes d’un accès extérieur ; et tout cela, au moment même où la lumière déclinante du soleil couchant, qui prend une couleur orangée si particulière, si bien que l’on croirait cela être l’œuvre d’un immense filtre posé au dessus de nos têtes, fait son effet sur les façades des palais de la ville en intensifiant la couleur ocre de ceux-ci et donc leur beauté, on a du mal à croire que le Raskolnikov de Dostoïevski[6] ait préféré se sacrifier en assassinant une femme argentée plutôt que de laisser l’enchantement de ce spectacle adoucir sa détresse pécuniaire.



Sergiev Posad et Novgorod, deux villes de l’intérieur russe


Dans les environs de Moscou, à environ une heure de route, dans le cœur de ce que l’on appelle l’Anneau d’Or[7], se trouve le monastère de Sergiev Possad, complexe religieux composé d’un ensemble de monastères orthodoxes. Depuis sa fondation, le lieu n’a cessé d’être « la Mecque » de l’orthodoxie russe. Fondée au XIVème siècle par le Saint-Patron de la Russie, Serge de Radonège, il attire chaque jour des milliers de Russes venus chercher ici un lien direct avec les saints et la divinité. Donnés par des ermites, les offices voient des dizaines de fidèles faire la queue afin d’être bénis dans ce lieu particulier. Encore une fois, on touche là à l’âme profonde du peuple russe qui, vaille que vaille, est pris dans la tenaille de la religion, sa religion, la foi chrétienne orthodoxe russe.

Alors que Sergiev Possad attire les touristes du fait de son statut particulier, Novgorod, une ville du nord-ouest du pays à 200 Km de Saint-Pétersbourg, ne voit que rarement la venue de la flopée des visiteurs internationaux. C’est que la cité, à près de quatre heures de route, est située à l’écart de l’axe principal reliant Moscou à Saint-Pétersbourg. De ce fait, on peut voir là, dans cette sorte de Far West russe fait d'une gigantesque plaine monotone, évoluer le peuple confronté aux dures épreuves de l’hiver s’annonçant : des femmes vendant leurs produits dans des étals de fortune ou gérant des bouis-bouis proposant des mets succulents (dont des beignets) par exemple. Il faut aller à la rencontre de ces gens et tenter de vaincre la barrière de la langue, ce qui donne des situations ubuesques. Quant au centre historique, il est en fait un ancien kremlin[8], libre d'accès et dans laquelle il y a un ancien palais et une église.

Plus que ses deux plus grandes villes, Sergiev Possad et Novgorod permettent le temps de quelques heures une immersion totale au sein de la population de la Russie.



La Russie est finalement ce pays qui, du communisme, est passé sans sourciller au capitalisme mondial. Mais parallèlement, il vit un « retour aux sources », que cela soit par l’intermédiaire de la religion nationale, le christianisme orthodoxe, ou de celui de son histoire, matérialisé par son patrimoine architecturale, surtout à Saint-Pétersbourg, qui reste exceptionnel.



Enfin, avant de conclure, voici quelques conseils à suivre pour tout visiteur de la Russie :



•Dans les restaurants, rejeter la carte pour touristes que l’on vous tend et dans laquelle les menus sont inscrits en russe et en anglais. Préférez plutôt la carte du restaurant, intégralement en russe et donc indéchiffrable si l’on ne maîtrise pas l’alphabet cyrillique. Amusant sera pour vous le fait de découvrir, au service, ce que vous aurez choisi au hasard, les serveuses ne pouvant vous aider car ne maîtrisant généralement pas une autre langue que la leur

•Le métro moscovite ne comporte aucune inscription en lettres latines. Essayez donc d’apprendre, avant votre voyage, à déchiffrer les sons donnés par les lettres de l’alphabet cyrillique et de vous procurer un plan du métro avec le nom des stations écrit dans votre langue. Ne pas visiter le métro serait un manque criant du fait que ses stations sont de véritables œuvres d’art

•A Moscou, mais aussi à Saint-Pétersbourg, il existe une myriade de taxis clandestins. Quand vous marcherez sur les trottoirs, vous les verrez continuellement ralentir à votre hauteur. Si vous en cherchez un, faites-leur signe, afin qu’ils s’arrêtent. Et avant de monter, entendez-vous sur le prix et le lieu exact de dépose. Privilégiez toutefois, notamment pour vous rendre à l’aéroport, les taxis officiels et faites-les appeler par les hôtels

•Entre Moscou et Saint-Pétersbourg, vous pouvez prendre le train de nuit. Le service vous fera remonter dans le temps, à l’heure grandiose de l’Orient Express. Des jeunes femmes en uniforme vous accueilleront tout sourire à l’entrée dans le wagon. Puis elles viendront vous voir dans vos couchettes afin de savoir à quelle heure vous souhaitez être réveillé et surtout si vous préférez le thé ou le café, au matin. Et vous donneront des effets pour la nuit, tels que des claquettes. Un conseil : prévoyez un petit sac dans lequel vous retrouverez facilement vos affaires de la nuit, afin de ne pas subir l’étroitesse de la cabine

•Au musée de l’Ermitage, privilégiez les expositions temporaires. On peut tomber sur des bijoux, tels que des tableaux impressionnistes français habituellement cachés dans les réserves de l’établissement

•Pour admirer la Saint-Pétersbourg nocturne, vous avez le loisir de prendre un verre au dernier étage de l'hôtel Azimut. Son bar offre une vue panoramique magnifique sur la ville, ses lumières, ses palais et ses cathédrales. Pendant ce temps, des Russes s'emparent du piano et revisitent les classiques français. Un moment agréable

•Si vous souhaitez prendre le métro à Saint-Pétersbourg, n'oubliez pas de prévoir du temps pour descendre dans ses couloirs, les escalators faisant au moins la taille d'un terrain de football, si bien qu'on en voit jamais la fin

•Plus généralement, rendez-vous dans le pays aux mois d’octobre-novembre. L’hiver russe n’est pas encore arrivé. Il ne fait pas trop froid. Et surtout, en plus de bénéficier de tarifs bas, vous aurez l’impression, à certains moments, de littéralement posséder les lieux visités : la Place rouge le soir, sur laquelle vous serez quasiment seuls ; idem à Saint-Pétersbourg dont vous pourrez profiter, si vous êtes en couple, de son cadre romantique exceptionnel. Enfin, la chambre d’ambre au Palais Pouchkine, extrêmement belle et qui, les jours de haute saison, est envahie de touristes, rendant parfois sa visite désagréable…




Adel TAAMALLI
Tiré d'un voyage d'une semaine du 17 au 24 novembre 2011




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[1] La religion chrétienne orthodoxe a ceci de particulier qu’elle accorde une grande place à la vénération des images, les icônes.

[2] Nom des prêtres orthodoxes

[3] Pierre le Grand, fraîchement arrivé au pouvoir, décida en 1696 d’initier la « Grande Ambassade » afin de nouer des relations avec les puissances européennes et d’y participer incognito, se donnant ainsi l’occasion d’étudier de près ce qui façonnait l’avance prise par les Grandes Puissances européennes sur les plans militaire, social, culturel, politique et économique…

[4] Nom de la Seconde guerre mondiale dans l’historiographie russe

[5] Nom de la ville pendant la période communiste. Bien qu’elle reprit son nom d’origine en 1991 à la chute de l’URSS, la région dont elle est la capitale a gardé le nom de Leningrad, notant ainsi, avec moult autres indices, telle que la préservation du mausolée de Lénine à Moscou ou la présence de statues de celui-ci sur de diverses places centrales des villes russes, que ce personnage historique garde une importance particulière chez les Russes, bien qu’il fut à l’origine du totalitarisme soviétique

[6] Fiodor Dostoïevski, Crime et Châtiment, 1866

[7] L’Anneau d’Or est une région des environs de Moscou. Elle fut importante dans l’histoire de la Russie car sa terre noire, très fertile, a attiré très tôt les Russes et fut le cœur de l’édification de cette nation pendant le Moyen-âge

[8] Un kremlin en Russie est une forteresse, le plus connu d’entre eux étant le Kremlin de Moscou, siège du pouvoir
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