El Caminó Francés

De Saint-Jean-Pied-de-Port à Saint-Jacques de Compostelle, 800 km

Un terme espagnol pour désigner l’autoroute pédestre qui permet de relier Puente la Reina à Saint-Jacques de Compostelle. Le but approche et les groupes se densifient. Tous les pèlerins, venant de tous les horizons et de toutes les régions, doivent emprunter cette voie pour réussir l’exploit et terminer l’aventure chrétienne. Certains veulent la rédemption, d’autres moins croyants cherchent l’aventure. Qu’importe, tous marchent et se dirigent dans la même direction. Les particularités n’ont plus aucune importance. Qui que l’on soit, on fait désormais partie de la communauté jacquaire.

1/ Irache : l’épreuve du vin
Le premier point d’arrêt est Irache, entre Estella et Villamayor, en Navarre. C’est là que se situe une fontaine pour le moins atypique puisqu’elle distribue de l’eau mais aussi… du vin ! Il ne faut donc pas s’étonner si la sortie du village connaît des troupes bien plus joyeuses que celles qui y entrent. Certains n’ont pas vraiment suivi à la lettre l’inscription du fronton : « Pèlerin, si tu veux arriver à Santiago avec force et vigueur, de ce grand vin bois une gorgée et trinque pour le bonheur ! ». Une gorgée et pas plus ! Soyez donc sage et pieu, résistez à la débauche et à l’appel de l’alcool. Car il vous faudra être sobre pour pouvoir admirer comme il se doit le monastère cistercien qui donne du cachet à la ville.

Bicyclettes
Vélos au repos, Plaza de Las Platerias, St-Jacques Le monastère Santa-Maria la Real, vous ne pourrez pas le manquer. De prime abord, ce bloc massif qui accole une église romane pourvue d’une tour carrée (XVe siècle) à un vaste quadrilatère rebute. Si on insiste, on trouvera pourtant un joli cloître aux ogives sculptées en dentelles et une trentaine de sépulcres ouvragés avec gisants qui savent transformer la pierre en merveille.
La reine Blanche de Navarre, petite fille du Cid est l’une des occupantes de ces tombeaux. Pendant des siècles, la richesse du lieu était confortée par l’un des plus beaux exemples de la statuaire mariale romane de Navarre : une Notre-Dame en bois (XIIe siècle), parée d’un coûteux manteau d’argent qui ne laissait respirer que son visage et ses mains. Depuis un siècle, ce trésor lui a été retiré pour rejoindre l’église de Dicastillo à 10 km au sud. Avis aux amateurs et à ceux qui ont une vitalité surhumaine.

Après cette étape rafraîchissante et contemplative, reprenez vos esprits et renouez avec la garrigue asséchée. Le chemin vous mènera alors à Logroño, où un aimable pont à sept arches vous offrira ses pierres pour traverser l’Èbre.

2/ Logroño
Une fois le pont franchi, la rue pavée Vieja prisonnière des vieilles maisons pleines de caractère qui la bordent vous conduira jusqu’à un florilège de sanctuaires : Santa-Maria la Redonda et son allure baroque, Santa Maria del Palacio, San Bartolomé et Santiago el Real.

3/ Burgos : La merveille du Caminó Francés
Si l’on devait n’en choisir qu’une en Espagne, ce serait elle. L’étape à ne pas manquer, c’est la ville de Burgos. En entrant par la monumentale porte Arco de Santa Maria, tapissée de personnages historiques grandeur nature, on est tout de suite dans le ton : le spectacle sera époustouflant.
  Fromages espagnols
Quesos (fromages) galiciennes La solitude de la marche est rapidement dissoute par l’animation qui agite les quartiers de la grande ville. Une dizaine de bodegas et de restaurants sont implantés pour pourvoir aux besoins des pèlerins et leur apporter le réconfort de quelques tapas bien d’ici.

Le clou du spectacle est la cathédrale insérée parmi les bâtisses médiévales et dont la délicatesse de la façade produit un arrêt involontaire et forcé. Les deux flèches s’élancent vers le ciel tel deux pieux criblés d’interstices cherchant à percer les nuages. Les arches légères encadrent une rosace à six pointes, des picots de pierre fleurissent sur les arêtes et au final, l’édifice qui est pourtant la troisième cathédrale d’Espagne par ses dimensions conserve une sveltesse admirable. Cette beauté lui vaut d’être qualifiée de « reine des cathédrales gothiques » et d’être considérée comme la plus spectaculaire après celle de Saint-Jacques. Mais il lui aura fallu du temps et de l’acharnement pour atteindre un tel niveau de splendeur : 300 ans auront été nécessaires (XIII au XVe siècle) pour la construire !
À l’intérieur, des habitants de prestige y ont élus domiciles pour l’éternité. Rodrigo Díaz de Vivar plus connu sous le nom du Cid repose dans sa pierre tombale en bronze, aux côtés de son épouse Doña Jimena.

N’oubliez pas de saluer la statue du jacquet assis sur un banc au pied de la cathédrale. Bâton de randonneur dans la main gauche et coquille Saint-Jacques sertie dans sa poitrine, le pèlerin en bronze a sans doute été photographié plus d’une fois, entouré de ses compagnons de route un peu plus mobiles et humains que lui.

Séparez-vous de lui, allez si l’envie vous en dit parcourir les rues de l’ancien quartier médiéval au pied de la colline du château, à la recherche de l’arc de San Esteban et de l’église du même nom avant de reprendre la route. Car un autre pèlerin de bronze vous attend : le pèlerin fatigué de la place San Marcos, à León.

4/ León Pèlerins en route
Pèlerins en plein effort Pour retrouver votre compagnon bien las de son voyage et immortalisé dans son étau de métal, vous devrez parcourir la « meseta », un vaste plateau calcaire à 1 000 mètres d’altitude. Ce ne sera pas de tout repos dans la mesure où les montées et les descentes se succèdent et où le climat peut tester votre résistance à l’alternance chaud-froid (bien chaud la journée et bien frais la nuit).

À León, capitale de la province du même nom, les pèlerins trouvaient le gîte et le couvert pour récupérer de la dure traversée qu’ils venaient d’effectuer. Ils se devaient d’honorer St-Isidore qui a marqué la ville par sa canonisation.
La basilique lui est dévolue et rivalise avec l’autre cathédrale de la ville tout aussi remarquable, dotée de ses 1 800 vitraux. Quoiqu’il en soit, le passage obligé reste la basilique et il vous faudra donc aller voir les murs épais de ce qui est devenu l’une des constructions les plus importantes d’Europe. Elle renferme un trésor jugé incomparable, si ce n’est avec la chapelle Sixtine de Michel-Ange : un ensemble de fresques datant du XIIe siècle ayant conservé ses couleurs d’origine. Remarquable témoignage de l’art roman, ces peintures incroyablement préservées illustrent l’Ancien et le Nouveau Testament tout en décorant la crypte du Panteón Real. La narration se poursuit dans la pierre plutôt que dans les pigments avec la présence des sculptures du portail et des chapiteaux. Un petit séjour dans la Basilique vous dispensera donc d’ouvrir la Bible, tout est inscrit sur les murs.
Les cloîtres complètent le tableau et offre un toit à un musée rassemblant une jolie collection d’art médiéval.

Un peu de persévérance, un passage éclair à Astorga et vous apercevrez enfin la fin du chemin… Saint-Jacques ! Une dernière traversée sera nécessaire ; celle de la Galice, petite région agréable caractérisée par ses hameaux de pierre et ses toits en chaume. Les flèches de Santiago ne tarderont pas à se faire voir et avec elle la perspective de la fin d’une longue marche pénitente.

  Sophie Graffin
Publié le 26/05/2010

Crédits photos : © ACIR/S.VAISSIERE ; © Turismo de Santiago