Fontevraud, prison de luxe

150 ans d’histoire carcérale

La Révolution française n’a pas été très clémente avec la dernière abbesse de Fontevraud. Pourtant fidèle au lieu depuis l’âge de deux ans, Julie-Sophie d’Antin en a été chassée par les cohortes déchaînées des hommes qui veulent la peau de l'Ancien Régime. Déguisée en paysanne, la jeune femme se résigne et quitte les lieux pour s’éteindre discrètement dans l’anonymat à l’Hôtel Dieu de Paris. Vidée de ses habitantes, l’abbaye est sectionnée en 19 lots afin d’être vendue. Mais les temps sont durs et les riches démunis. Les lots ne trouvent pas d’acquéreur et une question devient alors prégnante : que faire de ce bijou architectural qu’est l’abbaye de Fontevraud et que personne ne veut ou ne peut acheter, même en partie ?

Cloître principal
Le cloître du Grand-Moûtier

Quelques années de cogitation et d’attente font émerger une solution : faire du site une prison. L’option est retenue. Napoléon signe le décret transformant l’abbaye en prison en 1804. Il faut dix ans pour repenser l’espace, pour insérer cinq étages dans l’abbatiale, pour convertir les cloîtres en promenades et pour installer des cellules aux récalcitrants à l’ordre qui doivent être enfermés. Le chantier est vaste et Fontevraud est totalement défigurée. On peut certes déplorer ces dégradations qui dénaturent la beauté et la magnificence de l’ancien couvent, mais il faut également être redevable et conscient que ce remaniement a autant sauvé que dégradé l’édifice. Sans cette nouvelle fonction pénitentiaire, l’abbaye aurait sans doute sombré dans la désuétude et ce faisant aurait été abandonnée voire tout simplement détruite. L’abbaye, certes devient un lieu moins prestigieux, mais est au moins préservée de la ruine. Sa vie est sauve mais pas son honneur…

 

Les premiers prisonniers n’arrivent qu’en 1814. Six cents détenus, originaires de neuf départements différents, viennent en effet inaugurer les nouveaux aménagements carcéraux qui ont remplacé les salles de prières. Quelques années plus tard, le chiffre gonfle jusqu’à atteindre les 2 000 au milieu du XIXe siècle. Les enfants sont également de la partie puisque 113 jeunes viendront tester les cellules (chiffre de 1842) et réparer leurs fautes passées.
À l’entrée de l’ancienne abbaye, chacun laisse son identité à l’extérieur. Un numéro de matricule est attribué, un uniforme distribué et une cellule confiée. Les « pointeurs », ceux qui se sont pervertis dans des affaires de mœurs (viols, pédophilie…), connaîtront les « cages à poule » peu accueillantes. Les grillages en fil de fer qui surplombent ces petits isoloirs leurs ont donnés leur nom. À l’intérieur, c’est très spartiate. Un simple lit et juste la place pour faire deux pas avant de se heurter à la porte en bois gracieusement tailladée par un petit interstice, histoire quand même de nourrir l’occupant. Les autres bénéficieront d’un peu plus de confort en partageant des pièces collectives. Voilà pour le côté « hôtellerie ».

Cage à poule
Cage à poule de la prison

Pour le côté « divertissement », il y a de quoi faire et les matons savent faire travailler leurs protégés. L’une des activités principales de la centrale de Fontevraud est la fabrication de chaises. Pendant 12 heures chaque jour, les prisonniers, réunis dans des ateliers, s’acharnent sur les sièges et les dossiers qu’ils ont a confectionner. Le paillage doit être soigné car les contremaîtres veillent à la bonne exécution des tâches et à la perfection du résultat. Les exclus sociaux sont en effet bien surveillés dans ce site parfaitement adapté à l’enfermement.
Gare aux dissidents qui se verront alors tester le panoptique de Bentham, véritable QHS (Quartier de Haute Sécurité) de l’époque, qui ne laisse même pas l’occasion au malheureux de se gratter innocemment l’orteil. Le principe est simple : rentabiliser la surveillance en édifiant une structure permettant d’observer simultanément plusieurs prisonniers à partir d’un même point de vue. Une tour centrale est le point de rencontre d’une série de murs qui s’échappent, tels les rayons d’un cercle, vers la périphérie. Les prisonniers sont alors enfermés dans un espace triangulaire et jaugés en permanence par l’œil attentif d’un garde. Mieux valait donc suivre les règles de la structure carcérale et discipliner ses envies de révolte pour bénéficier du semblant de confort des cellules ordinaires. Là, l’on pouvait au moins profiter de l’indifférence et d’un minimum de vie sociale. Aujourd’hui, cet ingénieux dispositif est détruit et il ne reste plus que la maquette réalisée avec brio par un ex-détenu pour en rappeler l’existence passée.

 

D’abbaye puissante, Fontevraud passe donc au statut de prison importante. Elle délaisse alors son passé glorieux pour se tourner vers une histoire plus terne et plus sombre. Pour peu de temps cependant, puisqu’en 1963, la centrale ferme définitivement ses grilles et cesse son activité liberticide. La seconde page de son histoire se tourne et laisse place à la troisième : la Fontevraud culturelle émerge.

 

Sophie Graffin
Publié le 16/09/2010

Crédit photos : © Sophie Graffin