Jean-Michel Cousteau
En 2010, Jacques-Yves Cousteau, le célèbre expéditeur qui a fait découvrir au monde la richesse naturelle ensevelie sous les océans, aurait eu 100 ans. Il n’est plus là pour défendre la grande bleue mais son fils veille toujours sur l’élément le plus indispensable à la vie : l’eau. Son mot d’ordre : « Protéger les océans, c’est se protéger soi-même. » Quelques questions pour éclairer les vœux honorables de ce fils héritier et insister sur ses odyssées maritimes poursuivant la découverte entamée par le commandant au bonnet rouge.
Né en 1938, Jean-Michel Cousteau est à la fois explorateur, environnementaliste, pédagogue et producteur. Il a réalisé plus de 80 films, inspirés de ses déambulations constantes à la surface des mers et de ses multiples plongées. Il complète cet intérêt pour l’eau à un attrait pour l’urbanisme puisqu’il a obtenu son diplôme d’architecte en 1964 à Paris. Enfin, il s’adonne à l’écriture et a publié quelques ouvrages dont le dernier en date est une biographie sur son père : « Mon père, le commandant » (L’archipel, Paris, 2004 / Archipoche, Paris, 2010).
On ne peut pas évoquer le nom de Cousteau sans penser à votre père, le célèbre commandant. Comment vous situez vous par rapport à lui ? Qu’est-ce qui vous démarque de lui ?
Tout le monde est différent. J’ai beaucoup travaillé avec mon père et ai été infiniment impacté par la philosophie qu’il m’a transmise. Je pense avoir dans l’ensemble respecté ses idées. Bien entendu, chaque individu a sa propre personnalité et je me suis beaucoup concentré sur l’éducation par exemple, ce qui n’était pas son cas, bien que ses messages étaient éducatifs aussi. Mais nous, on s’adresse aux jeunes, on les sort des écoles, on va les mouiller. On est très investis là dedans.
Est-ce que le message est différent ?
Non, absolument pas. Il est plus en profondeur en ce sens qu’on a plus de temps donc on peut passer entre 4 ou 5 jours avec les enfants et transmettre beaucoup de messages. J’ai eu le privilège de grandir avec lui et de pouvoir continuer dans le même esprit. La technologie a beaucoup changé aujourd’hui. À travers Internet, on a accès et on peut échanger énormément d’informations.
J’ai envoyé un message au sujet de la catastrophe dans le Golfe du Mexique*. 1 200 et quelques personnes sont allées le consulter en une journée, ce qui est considérable. Avant, on n’avait pas ces méthodes, cet accès relativement en profondeur au public.
Votre association, Ocean Future Society cherche à sensibiliser le public. Pouvez-vous nous en dire quelques mots et préciser pour quelle cause vous militer, si vous militer ?
Militer n’est peut-être pas le mot qu’il faut utiliser. Je communique, je dialogue, avec les décideurs. Ça commence d’une façon superficielle, via des films de télévision d’une heure. À partir des documents qu’on a enregistrés, on est en mesure de faire des petits messages que l’on fait passer. Ce qui nous permet de faire venir des jeunes et de passer plusieurs jours ensemble dans différentes parties de la planète.Ça, on le fait depuis plusieurs années maintenant.
En plus, tout ce matériel et toute cette information nous permettent d’aller nous asseoir avec les décideurs, que ce soient des industriels ou des gouvernements, que ce soit local, national ou international. Je passe énormément de temps à avoir des dialogues avec eux. Évidemment, dans ce cas, le but est encore plus profond parce qu’on essaye de leur procurer l’information qui leur permettra de prendre des décisions, qui ont plus de valeurs et qui sont plus écologiquement orientées dans l’intérêt de tout le monde. Que ce soit l’Internet, les contacts directs, la télévision, c’est dans l’ensemble assez nouveau et pour moi, toute ma vie et celle de notre équipe sont dédiées à communiquer.
Vous concentrez-vous uniquement sur les océans ou êtes-vous au contraire attiré par d’autres thèmes ? Pouvez-vous expliquer pourquoi votre mission se synthétise ainsi : « Protéger les océans, c’est se protéger soi même » ?
Je me concentre sur l’eau. Si vous regardez les racines de l’océan, ça vous amène dans les Andes, dans les Alpes, partout où il y a de l’eau. Que ce soit de la neige ou de la glace, c’est le même système aquatique. La neige qui est en haut des montagnes vient des océans et y retourne.
Sans eau, il n’y a pas de vie. Quand vous buvez du vin ou du champagne, vous buvez l’océan ; quand vous allez faire du ski, vous skiez sur l’océan. Vous faites du patin sur l’océan. Il n’y a qu’un seul système aquatique qui est en mouvement constant. Une des qualités principales des océans est de purifier l’eau puisqu’elle s’évapore, que cela crée les nuages qui sont de l’eau parfaitement propre.
Au sujet des océans, avez-vous vu le film de Jacques Perrin, Océans ?
Je l’ai vu en français et en anglais. La version anglaise est assez différente. Ce sont des images absolument extraordinaires mais, pour la plupart, de créatures que je connais depuis 50 ans. Je dirais qu’environ 10% de son film m’a beaucoup surpris car c’était des choses que je n’avais pas vues. Ce qui m’a manqué, c’est l’absence de messages.
Nicolas Hulot au contraire, inonde son dernier film, Le Syndrome du Titanic, de messages pour le moins très alarmistes, peut-être trop même ? Qu’en pensez-vous ?
Nicolas, c’est autre chose et il n’est que national et reste inconnu en dehors de la France. Il pousse un peu trop dans l’alarmisme et personnellement, je n’irais pas dans cette direction là, mais il fait un travail remarquable et il faut de tout. C’est bien qu’il y ait ça aussi. Si vous prenez par exemple Greenpeace, je ne suis pas d’accord avec la façon dont l’association opère, mais je suis d’accord avec son objectif. La seule chose que je puisse dire est que je ne peux pas m’associer avec elle mais je respecte complètement ce qu’elle fait.
- Le 20 avril 2010, la plate-forme pétrolière Deepwater Horison, située à 68 km seulement des côtes de Louisiane et gérée par BP, a pris feu avant de sombrer dans l'océan et de déverser son liquide noirâtre. C'est l'une des pires marées noires que les Etats-Unis a connue.
Le voyage fait partie de votre vie et vous êtes souvent en itinérance. Avez-vous quand même quelques points d’ancrages, un chez-vous ?
Mon chez moi, c’est la planète. Je suis en mouvement perpétuel. C’est très fatiguant mais j’estime avoir une mission et ne peux donc pas m’arrêter. Ceci étant, on a quand même un bureau aux Etats-Unis, un en France, en Italie et au Brésil.
Une chose me surprend. Vous avez fait des études d’architecture et avez dit rêver de construire des villes sous la mer. N’y a-t-il pas là une contradiction entre cette volonté d’étendre l’urbanisation sous l’eau et un désir d’écologie et de préservation de la planète ?
Quand vous avez 13 ou 14 ans, vous commencez à vous demander ce que vous allez faire. J’étais très impacté par les activités de mon père, qui en l’occurrence avait construit la première maison sous la mer, « pré-continent 1 » puis « pré-continent 2 » en mer Rouge et « Pré-continent 3 » en Méditerranée. Je me suis dit : les êtres humains vont déménager sous l’eau et je veux être le premier architecte des cités sous-marines. Il n’y a pas d’école où l’on vous apprend l’architecture marine. Donc je suis allé à l’école d’architecture de Paris où j’ai eu ma licence. Je me suis un peu exercé à ma profession. Pendant mon service militaire, j’ai dessiné et surveillé la construction de 6 écoles à Madagascar ainsi que plusieurs autres projets, y compris un dispensaire, etc. Ça a été fascinant pour moi, plutôt que de porter des armes.
Ensuite, je suis allé à St-Nazaire, sur un chantier naval, pour finalement apprendre les deux types d’architecture (sur terre et en rapport avec l’eau). J’ai beaucoup appris sur l’architecture navale, ça a été fabuleux pour moi.
Très vite, je me suis aperçu que ce n’était pas là où l’on irait. Les êtres humains sont faits pour être sur terre, pas dans l’eau.
Toute la formation que j’ai reçue, je l’utilise quand je fais un film. C’est exactement le même processus que de réfléchir à la construction d’un hôpital ou d’une maison. Vous avez des éléments et à un moment donné, il faut les mettre ensemble et les agencer avec un début, un milieu et une fin. C’est exactement la même chose que de faire un film.
Donc, vous ne comptez plus maintenant envahir les océans ? Protéger les océans, c’est se protéger soi-même.
Non, j’attends toujours mon premier client ! (Rires)
Partez-vous encore aujourd’hui en expédition ?Oui, on n’arrête pas.
Qu’aimez-vous alors dans le voyage, dans l’expédition qui vous occupe tant ?Le voyage pour moi, c’est la découverte, c’est aller voir de l’autre côté de la colline, ce que l’on ne sait pas. C’est le côté le plus fascinant du déplacement. J’ai toujours envie de savoir ce qu’il y a derrière le mur. Je me passionne pour l’impact de l’eau et cela me mène à l’intérieur. J’ai passé trente mois en Amazonie. Ce sont les racines de l’océan.
Un petit mot pour les e-voyageurs…Laissez votre téléphone, votre ordinateur à la maison. Respirez l’air, regardez les petits oiseaux, les fleurs et sentez la nature. Ça vous permettra d’être inspiré, de devenir un meilleur protecteur et quand vous retournerez chez vous, vous pourrez communiquer avec toute la planète. On est tous liés les uns aux autres. Mais il ne faut pas non plus se noyer dans cette nouvelle technologie qui est très attractive mais qui nous sépare de la nature. Donc il faut faire la part des choses.
Propos recueillis par Sophie Graffin
Publié le 1/06/2010
Crédits photos : © Fox Channels
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L'auteur :
L'auteur, Jean-Michel Cousteau né en 1938, est le premier fils de Jacques-Yves Cousteau, célèbre navigateur qui a passé sa vie a arpenter les mers. Bercé dès son enfance dans le milieu aquatique et féru de plongée sous-marine dès l'âge de sept ans, le fils poursuit le chemin du père et continue les expéditions à la découverte de la grande bleue. Dans « Mon père, le commandant », Jean-Michel nous dévoile le tempéramment quelque peu impétieux de son père, les accrocs qui ont rythmé son enfance et nous immerge finalement dans son univers passionnant plutôt que dans les océans.