Indonésie

Interview d'Olivier Lelièvre

 

Olivier Lelièvre a travaillé en tant que réalisateur, consultant ou coréalisateur, à de nombreux documentaires ayant trait à l'Indonésie. Aujourd'hui, il publie un nouveau livre sur cet archipel.

(Novembre 2008)

Olivier LelièvreParti en 1982 pour Sarawak, la partie Malaisienne de Bornéo, il vit un an au sein de la tribu des Kenyah dont il suit le rituel d'adoption. À cette occasion, il côtoie les Punan, derniers nomades de l'île. Après ce séjour, il part à la découverte de l'Indonésie, qu'il n'a eu de cesse de parcourir depuis.

La dernière barrière entre nous, ma différence, ils l'abolissaient. En faisant de moi un membre de la famille et un Kenyah par la même occasion. Vous aimez tellement l'Indonésie, que vous l'appelez votre maîtresse. Qu'est-ce que vous aimez tant dans ce pays ? En guise de préambule, il faut se faire une idée de la taille de ce pays qui, d'est en ouest, couvre la distance qui sépare l'Irlande de. l'Iran !. Si ce n'était pas le plus grand archipel du monde, on pourrait presque parler d'un continent. Dans cette myriade d'îles, parfois aussi grandes que la France, parfois minuscules, ce sont développées au fils des siècles des centaines de langues et de cultures différentes. Les îles les plus importantes ont été influencées par l'hindouisme, le bouddhisme, l'islam puis par les colons hollandais. Cette diversité culturelle fait de l'Indonésie un pays d'une richesse extraordinaire qui ne cesse de me fasciner. Plus je parcours cet archipel, moins il me semble le connaître, et plus j'ai envie de le découvrir. Mais il y a encore autre chose : l'humanité des habitants, quelle que soit leur appartenance ethnique et culturelle. Nulle part ailleurs je n'ai ressenti une telle chaleur, une telle ouverture vers l'autre.

forêt indonésiennevolcan
Où est-ce que vous préfèreriez vivre dans cet archipel ? Les îles d'Indonésie sont très variées. Bien sûr la mer est souvent présente, mais certaines îles sont si grandes qu'une grande partie de la population vit à l'intérieur, souvent dans les grandes plaines fertiles qui sont au pied des volcans. Il y a aussi les forêts tropicales de Bornéo ou de Sumatra. J'y ai souvent séjourné, mais je serai bien incapable de vivre à long terme dans cette végétation dense, dans cet univers d'eau et de boue qui ressemble parfois au paradis mais qui parfois aussi se révèle très dur. Il y a deux endroits où il me plairait vraiment vivre. Le premier lieu est Alor, une île située à l'est de Florès. La vie y est simple et paisible, la mer est un enchantement (c'est l'un des plus beaux endroits du monde pour la plongée sous-marine). Le second est le pays Toraja, sur l'île de Sulawesi. Ici, nous sommes en altitude, loin de la mer. Le climat est frais, les paysages de rizières en terrasses au pied des montagnes couvertes de forêts sont d'une extraordinaire beauté. Comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi la fascinante culture du peuple Toraja, connue pour ses rituels funéraires grandioses, et qui est extrêmement complexe. Je me vois bien vivre quelques années chez les Toraja pour approfondir mes connaissances de la culture locale.

croisière indonésienne
Dans votre livre, vous parlez longuement des Mentawai avec qui vous avez vécu quelque temps. Pouvez-vous nous parler de ce peuple et de ce qu'ils vous ont apporté ? Le peuple Mentawai vit sur une petite île, Siberut, située à l'ouest de Sumatra. Je me suis rendu là-bas pour la première fois en 1986 et je suis tombé sous le charme. Comme l'a dit en son temps le commandant Cousteau, Siberut est un paradis pour ethnologue. Moi, j'y ai découvert un peuple qui ne connaissait rien du monde moderne mais qui possédait une vie spirituelle d'une grande richesse. Toute la vie semblait faite pour que l'harmonie entre les hommes et la nature soit sauvegardée. Il fallait être beau pour plaire à son âme, il fallait s'excuser auprès de l'arbre qui allait être coupé , on faisait des fêtes pour unir les membres du clan et leurs ancêtres. Tout cela était une véritable leçon pour moi l'étranger qui venait d'un monde individualiste et matérialiste. Je suis retourné souvent chez les Mentawai, et je me suis particulièrement attaché à un clan que je vais revoir dès que je retourne à Siberut. Le vieux chaman d'Alimoi m'a enseigné beaucoup de choses et parfois il a aussi soigné « mon âme blessée », un jour où j'étais stressé. Il m'a appris à parler à mes ancêtres, à porter un autre regard sur les autres et sur ce qui m'entoure. Lorsque je suis parmi ces hommes, je me ressource, je remets les pendules à l'heure, même si aujourd'hui, notre culture se heurte à la leur et tout change très vite aujourd'hui à Siberut

femme indonésienne se protégeant du soleilhomme asmat
Vous êtes partis pour Bornéo et vous avez rencontré une autre communauté, les Kenyah qui ont fait de vous l'un des leurs lors d'un rituel d'adoption. Comment cela s'est-il passé ? Bornéo tient une place à part dans mon cour. Mon premier séjour, en 1983, a duré plusieurs mois. J'étais jeune, je n'avais presque pas voyagé auparavant. Les premières semaines ne furent pas faciles. Les Kenyah (l'un des peuples dayak) me traitaient en invité et ne me demandaient rien. Ils attendaient. Je restais un étranger. C'était à moi de m'adapter et cela demandait du temps. Et puis un jour, j'ai décidé d'accompagner quelques hommes dans leur rizière sur brûlis. Malgré leur refus, je me suis mis à travailler avec eux . A partir de ce moment je me suis trouvé à l'aise et en harmonie avec les habitants du village. On riait de mes maladresses, mais on commença aussi à m'enseigner la langue kenyah, on m'invita à participer à la vie du village et je devins peu à peu un membre de la communauté. Et puis, un jour, il y eut une grande discussion au sien de la famille dans laquelle je vivais. Ils avaient décidé de m'adopter ! Cela était incroyable. La dernière barrière entre nous, ma différence, ils l'abolissaient. En faisant de moi un membre de la famille et un Kenyah par la même occasion. Quelques temps plus tard, il y eut une grande cérémonie où tout le village fut convié. Des coqs furent sacrifiés et je fus présenté aux esprits pour qu'ils me donnent force et courage. On me donna aussi un nouveau nom : Balan, patronyme du plus célèbre des chasseurs de têtes kenyah ! Il s'en suivit une fête où l'alcool de riz coula à flot durant toute la nuit. Ce jour-là, je crois que je suis devenu un homme.

Vous dîtes dans votre livre, que vous avez « parcouru les îles les plus importantes » de l'Indonésie et qu' « il en reste des centaines » que vous n'avez pas visitées. Quelles sont les îles qu'il vous tarde de découvrir ? Il y a environ 17500 îles dans cet immense archipel, autant dire qu'il m'en reste des milliers à visiter ! J'aimerais aller à la découverte de quelques îles des Moluques, comme Halmahera dont on ne parle jamais ; Seram où vit le peuple méconnu des Alfurs ou encore Tanimbar et Kai. J'aimerais aussi partager une tranche de vie avec les derniers nomades de la mer, les Bago, dont certains vivent au nord de Sulawesi. Mon intérêt se portant surtout sur les hommes, le nombre d'îles visitées n'a guère d'importance. J'aimerais retourné à Bornéo, dans ma famille adoptive, mais aussi vers d'autres population dayak que je ne connais pas, ou encore vers Florès ou Alor. A Bali, j'aimerai apprendre les techniques de soins traditionnelles car je suis aussi praticien en shiatsu et tout ce qui touche aux médecines alternatives me m'intéresse beaucoup. Une vie ne me suffira pas pour tout connaître ! Mais la part du rêve est belle, elle aussi !

Commandez le livre "Indonésie" IndonésieSynopsis :
Véritable continent maritime avec 5200 km d'est en ouest et 1760 km du nord au sud, l'Indonésie forme un pont entre l'Asie du Sud-Est et l'Océanie. Route des épices, ceinture de feu du Pacifique, porteurs de soufre du Kawah Ijen, transes balinaises, batik et ikat, varans et orangs-outans, hécatombes de buffles et crémations, pirates et palais de sultans : de Sumatra à la Papouasie occidentale, en passant par Java, Bali et les Moluques, les 17 500 îles de l'archipel égrènent autant d'images, celles d'un pays aux traditions fortes ancrées dans des paysages infiniment variés - volcans actifs, rivages enchanteurs, forêts encore vierges ou rizières savamment cultivées.

"Indonésie" de Olivier Lelièvre, éditions Transboréal, 2008, 127 pages. Pour en savoir plus : consultez son site http://www.lelievre-olivier.fr/ ou consultez le site     Internet des éditions Transboréal