Interview de Fanny Rabasse
Fanny Rabasse, chargée de communication pour le Moulin Rouge, répond aux questions d'e-Voyageur à l'occasion de l'année anniversaire du célèbre cabaret parisien. Rencontre.
Depuis 120 ans, le Moulin Rouge fait rêver et transporte aujourd'hui encore ses milliers de spectateurs dans un monde de Féérie, de glamour et de lumières. Sur sa scène mythique évoluent tous les soirs les artistes de la revue dans un univers de strass et de paillettes qui illumine la réalité du quotidien de chacun. Fanny Rabasse nous dévoile les coulisses du cabaret.
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120 ans après sa création, le Moulin Rouge connaît un succès qui ne se dément pas. La revue fait salle comble tous les soirs et la magie opère toujours.**
Je pense que le Moulin a su s’adapter aux différentes époques. Des artistes de prestige sont passés sur sa scène, et ont contribué à sa notoriété. Le Moulin marche encore aujourd’hui grâce surtout à la qualité de ses spectacles. On en donne pour leur argent aux gens qui viennent et ça c’est extrêmement important ! Il faut toujours se dire qu’on doit donner le meilleur au public, on ne peut pas tricher. Si le spectacle n’était pas bon, les gens ne reviendraient pas. Et puis avant d’être un endroit de spectacle, c’est un monument de Paris puisqu’il est cité en 3e position par l’Office de Tourisme de Paris derrière la Tour Eiffel et le Louvre ou l’Arc de Triomphe selon les années.
Le Moulin fait partie du paysage parisien, les gens vont le prendre en photo même s’ils n’y entreront pas forcément. La notoriété est extrêmement forte à l’international.
Depuis peu, la clientèle du Moulin est composée d’Etrangers à 50%, l’autre moitié étant constituée de Français. Quelle image est véhiculée à travers les spectacles du Moulin ? Que vient y chercher le visiteur selon qu’il soit de France ou d’ailleurs ?
Le dénominateur commun est la joie, l’occasion rêvée d’oublier ses ennuis pendant 2h, de voir un spectacle très coloré, où on ne se prend pas la tête, on ne réfléchit pas, on voit de jolies choses sur scène. L’étranger va chercher ce qui est typiquement Paris : le Moulin Rouge, les danseuses, la France, la tradition française. Le Français n’a pas la même approche. Il va rechercher la qualité du spectacle, et le bouche-à-oreille compte énormément. Il vient voir le spectacle, pas le Moulin Rouge. Les étrangers viennent voir le Moulin Rouge d’abord, sans forcément savoir comment va être le spectacle, ils ont déjà une image du Moulin, comme symbole de Paris, temple de la femme. Le Français va voir le spectacle parce qu’il aura vu un extrait à la télévision, lu une critique dans un journal. Il y a 20 ans on travaillait avec 80% d’étrangers, on s’est dit qu’il était dommage d’avoir aussi peu de clientèle française et nous effectuons un gros travail depuis une dizaine d’années pour que la clientèle revienne. On a axé nos activités commerciales sur les réservations des Comités d’Entreprise, des associations, des collectivités, et on a investi dans des petites campagnes publicitaires sur Paris et les Franciliens. Et le public français et parisien est revenu. Travailler avec 50% de Français nous permet aussi de passer à travers les crises, puisque quand vous avez une clientèle stable vous êtes moins fragile. Apres le 11 septembre, beaucoup d’étrangers n’ont plus voyagé dans le monde par peur de prendre l’avion. Nous, au Moulin Rouge, nous avons été parmi les rares à ne pas souffrir économiquement de cette forte baisse de clientèle, grâce aux Français. Paris Match nous avait d’ailleurs mentionnés dans un article dans ses pages économiques sur les entreprises qui ont gardé la tête hors de l’eau à ce moment-là. Pour la crise actuelle, c’est pareil. Nous ne sommes pas touchés, la clientèle française s’est toujours déplacée et sert de socle pour traverser les crises. Nous essayons de faire en sorte qu’une seule nationalité étrangère ne dépasse pas les 10%, pour les mêmes raisons, ce qui donne une salle plutôt cosmopolite.
A l’ origine, le Moulin était un emblème du Paris coquin qui se jouait de la bienséance morale et sexuelle de l’époque. Aujourd’hui il y a des enfants (de plus de 6 ans) dans la salle, et même des tarifs spéciaux pour les moins de 12 ans.
Oui, aujourd’hui on peut dire que la revue du Moulin est aussi un spectacle pour la famille car les mentalités ont évolué. Les seins nus devaient être cachés aux enfants dans les années 1960, aujourd’hui voir des femmes relativement peu vêtues n’a plus rien de choquant. On en voit d’ailleurs autant à la plage ou à la télévision. Et le spectacle du Moulin n’a rien d’érotique ou de vulgaire. Les corps sont habillés et sublimés par les décors, les plumes, les bijoux. On peut y emmener ses enfants, qui ne seront absolument pas choqués. Je l’ai même vécu avec des enfants de ma famille : ce n’est pas la nudité des corps qu’ils retiennent mais les petits chevaux, les clowns, le jongleur qui jongle à toute vitesse. Ils ne se posent pas la question. C’est l’aspect cabaret-cirque et l’ambiance de monde imaginaire qui les font rêver. Et puis, quand on part en vacances, ce n’est pas toujours évident de sortir sans les enfants, de les faire garder, etc. Ici vous savez que vous pouvez les emmener avec vous.
Cette année, pour la première fois, le Moulin Rouge a ouvert ses portes au public lors des Journées Nationales du Patrimoine.
Nous avons en effet décidé de marquer le coup pour les 120 ans, et d’ouvrir la salle et les coulisses aux visiteurs qui n’ont pas forcément les moyens de s’offrir la revue. Nous avons organisé des visites guidées de qualité qui duraient entre 50mn et 1h pour des groupes de 30 personnes. Après leur avoir présenté l’histoire du Moulin et l’évolution de ses salles, nous leur avons dévoilé les coulisses, les loges, ils ont pu voir des danseuses, des costumes (des pièces très précieuses ont été ressorties), certains se sont même pris au jeu en dansant sur la scène ! Nous leur avons livré quelques petits secrets sur la préparation du spectacle, l’entretien des costumes… Les gens ont été fascinés. Beaucoup ont déclaré qu’ils viendraient voir le spectacle, les autres, qui n’ont pas toujours les moyens, nous ont dit que nous les avions fait rêver pendant 1h. Tous sont sortis avec des paillettes dans les yeux, c’était magique. Mais nous n’avons malheureusement pas pu accueillir tout le monde : sur deux jours, ils ont été 1500 à avoir pu visiter les lieux alors que, selon la Préfecture de Police de Paris, 20 000 personnes avaient fait la queue ! Les medias avaient mis en avant l’ouverture exceptionnelle des portes du Moulin. Même si nous nous attendions à avoir du succès, un tel engouement nous a nous-mêmes surpris. Il s’agissait vraiment d’un événement exceptionnel dans le cadre des 120 ans du Moulin, normalement l’opération ne sera pas reconduite. Mais rien n’est encore défini.
La revue Féérie tourne depuis décembre 1999. Une prochaine va bientôt être mise en place au Moulin.
Chaque revue dure entre 10 et 12 ans et coûte de 7 à 9 millions d’euros ce qui est un investissement considérable à amortir. La prochaine revue est prévue pour la fin de l’année 2012. Elle est prête ! Tout est écrit, les maquettes des costumes et des décors sont dessinées et les musiques ont été enregistrées en studio l’année dernière avec un orchestre philarmonique comme nous le faisons d’habitude. Tout est sous clé. Ensuite, quand on décidera de la lancer, le Moulin sera fermé pendant 5 semaines pendant lesquelles les décors seront montés, les costumes changés, les danseurs apprendront les chorégraphies. C’est très court, mais long aussi car il faut payer les 400 employés du Moulin alors qu’il n’y a pas encore de recettes ! Quant-au nom de la nouvelle revue, il commencera par la lettre « F » par tradition. Il est choisi. Mais je ne peux rien vous dévoiler ! Il faut attendre le dernier moment. Vous verrez…
Comment envisagez-vous l’avenir du Moulin rouge ?
Nous allons racheter La Loco [la célèbre boîte de nuit parisienne voisine du Moulin rouge. Ndlr]. Ce rachat nous a été accordé en premier jugement, il y a eu appel mais tout semble en bonne voie pour nous. L’idée est de relier la nouvelle surface à l’Espace Moulin Rouge par le hall gigantesque de ce dernier. L’Espace est en fait la deuxième salle du Moulin dans laquelle se produisait Maurice Chevalier et Mistinguett du temps du Music-hall. Elle a été salle de spectacle jusque dans les années 1945, puis on l’a transformée en cinéma. Ca a été le plus grand d’Europe jusque dans les années 1980 avant de fermer. Début 2000, la salle a été changée en espace événementiel et elle sert aujourd'hui de plateau de télévision pour les émissions du samedi de Laurent Ruquier. Nous comptons créer un espace pour accueillir les visiteurs avant le spectacle. On y trouvera aussi un café-lounge ouvert aussi en journée, une boutique (il en existe déjà une en soirée au Moulin et une en journée rue Lepic), une partie discothèque et une autre réservée à l’événementiel et aux concerts. Le tout sera donc un espace complet.