Visite des Catacombes de Paris

Suivez la ligne noire

Port-Mahon

Les choses sont maintenant claires : les dites catacombes sont en fait des galeries de carrières souterraines et une partie seulement peut s’apparenter à des catacombes, l’ossuaire qui ne revêt aucun caractère religieux et qui ne représente qu’un huitième de la surface creusée sous Paris. Qui dit souterrain dit dénivelé, et ce sont 130 marches qui attendent le visiteur à l’entrée. On accède ensuite aux galeries d’exploitation des carrières bordées de piliers tournés ou à bras (des colonnes de pierres superposées et levées à bras d’homme pour soutenir le ciel). Des plaques rappellent les numéros des structures, l’avancée des travaux et les noms des conducteurs. Les parois rocheuses portent encore les marques des outils et une trace noire au-dessus des têtes sert de fil d’Ariane menant jusqu’à l’ossuaire. Il faut s’imaginer qu’au XIXe siècle, il n’y avait que la torche et cette étrange trainée noire pour se repérer dans ce dédale et espérer revoir la lumière du jour. Puis on arrive à une galerie où trônent les sculptures du dénommé Décure. Celui-ci passait ses heures perdues à tailler dans la pierre une réplique du fort de Port-Mahon où il avait été retenu prisonnier sur l’île de Minorque.

entrée de l'ossuaire

Alors qu’il aménageait une entrée particulière pour accéder plus facilement à son œuvre depuis l'étage supérieur, le ciel s’effondra et le malheureux mourut peu après de ses blessures. Non loin de là, un petit escalier de pierre aménagé pour les visiteurs du XIXe siècle (et que l’on ne peut plus emprunter) descend jusqu’à la nappe phréatique. L’eau y est si translucide que l’on y tremperait les pieds sans s’en rendre compte, d’où son nom de « bain de pieds des carriers ». Le décor noir et blanc des obélisques et des ornements de la salle suivante indique que la mort n’est pas loin. En effet, au-dessus de l’entrée de l’ossuaire, une inscription donne le ton : « Arrête ! C’est ici l’empire de la mort ». Les premières images sont saisissantes : des murets entièrement constitués d’os allongés soigneusement empilés et de rangées de crânes s’étendent entre chaque pilier (on remarquera en passant, juste à gauche de l’entrée, les crânes qui ont verdi sous la lampe…). Ce sont des régiments d’être lugubres et hagards qui observent le nouveau venu dans ce lieu unique.

Motifs coeurs

Chaque haie macabre est épaisse de plusieurs mètres, les autres os ayant été jetés pêle-mêle de l’autre côté. On devine un véritable souci esthétique puisque des motifs de cœurs ou de croix sont dessinés avec les crânes. Des plaques rappellent la provenance des ossements et la date de leur transfert, tandis que d’autres renvoient chacun à sa condition de pauvre mortel qui ne doit pas oublier la vanité de sa vie et sa mort inéluctable: « Heureux celui qui a toujours devant les yeux l’heure de sa mort, et qui se dispose tous les jours à mourir », ou encore « Pensez le matin que vous n’irez peut-être pas jusques au soir et au soir que vous n’irez peut-être pas jusques au matin ». Sans mauvais jeu de mot, on y trouve également des vers : « Ils furent ce que nous sommes / Poussière, jouet du vent ; / Fragiles comme des hommes. / Faibles comme le néant ! », Lamartine. On est donc bien conditionné lorsque l’on circule à travers les galeries, de la « Fontaine Samaritaine » à la « Crypte du Sacellum », ce petit sanctuaire flanqué d’une imitation de tombeau antique. Dans la crypte suivante trône solennellement la « Lampe sépulcrale » entourée d’obélisques tronqués masquant les piliers. Il s’agit en fait d’un système primitif d’aération, les carriers alimentant le brasier afin d’activer la circulation de l’air entre les galeries. En continuant, on trouve le « Tombeau de Gilbert », qui ne contient pas les restes du poète mais qui sert là encore à cacher les constructions.

lampe sépulcrale

Dans la « Crypte de la Passion », crânes et tibias sont savamment arrangés autour d’un pilier, donnant l’impression d’un tonneau fait d’ossements. Il y a là de la mise en scène, tout un décorum mis en place pour rendre une âme au lieu. Les citations poétiques ou métaphysiques côtoient les plaques commémoratives (comme celle des émeutes annonciatrices de la Révolution) et la seule pierre tombale du site (celle de Françoise Géllain qui consacra sa vie à la fuite du dit Latude de la Bastille). A la sortie de l’ossuaire, il faut encore suivre quelques mètres de couloirs de roche en passant sous des fontis de plus de 11m de haut parfois, et des arches de pierre monumentales, telles des arceaux de cathédrales souterraines. En remontant à la surface, le visiteur renaît à la vie en ayant le sentiment d’avoir fait une escale bien étrange dans le monde des morts sous les pavés de Paris.   Audrey Bonnet
Publié le 01/02/10

Crédit photos : © Christophe Fouin / DAC