Le programme de la journée consiste à rassembler les vaches et chèvres dispersées dans la montagne. Nous scrutons l'horizon à la recherche de bêtes invisibles. Heureusement Alexis sait où chercher. Il a surtout des yeux de lynx, repérant des chèvres où nous ne voyons que de vagues taches ou souriant quand les vaches que nous croyons voir ne sont en fait que des rochers… Grimpant une pente improbable nous arrivons sur un plateau et restons ébahis quand un condor nous survole, à moins de 10 mètres d'altitude, assez prêt pour que nous puissions voir ses yeux et sa collerette blanche. Impressionnant de majesté.
Bientôt, enfin, nous apercevons nos premières vaches. Nous nous séparons en fonction des besoins, essayant de regrouper au mieux les animaux et les diriger vers la plaine signalée par Alexis. L'hiver a été très humide et l'herbe est d'un vert tendre stupéfiant. Les vaches n'ont aucune envie d'abandonner ces pâturages et il nous faut parfois insister pour les déloger. Les chiens sont partout et font leur travail bien mieux que nous…
Les chiens font eux aussi leur travail
Les repas sont un moment important de la journée pour les argentins, d'ailleurs avec le goûter nous ferons généralement quatre repas par jour. Aujourd'hui, on nous a prévu de l'asado, de la viande grillée, de chèvre et de bœuf. Cuite lentement à la chaleur des braises, la viande reste tendre et juteuse ; un vrai régal, que nous dégustons debout ou étendus sur les peaux de moutons de nos selles. L'après-midi sera mis à profit pour rassembler les chèvres et les descendre avec les vaches vers le puesto, dans la lumière rasante du coucher du soleil.
Abandonnant nos montures à un repos bien mérité, nous reprenons la route vers notre auberge. Une journée au grand air et les restes du décalage horaire ne nous pousserons pas à veiller tard. Les douches et les lits seront les bienvenus pour se préparer au lendemain.
Arrivés au puesto, Nivaldo nous annonce que nous devons repartir dans la montagne : le comptage a montré qu'il nous manque des vaches. Nous procéderons ensuite à leur marquage dans l'après-midi. Mario nous confie à Alexis pour rester préparer sa spécialité culinaire et nous voilà repartis dans la montagne où nous ferons chou blanc côté vaches, mais bénéficierons d'une expérience unique. Aux abords d'un ruisseau nous croisons un groupe de juments, Alexis demande des volontaires pour les conduire jusqu'au puesto. Sa demande rencontre forcément du succès et c'est le sourire aux lèvres qu'un premier groupe nous abandonne pour mener, seuls, les juments à bon port.
A présent moins nombreux, nous nous éloignons dans la montagne à la recherche des vaches manquantes. Alexis commence à soupçonner que celles-ci, ayant compris ce qui les attend, n'aient déjà pris le chemin du convoyage toutes seules, nous les retrouverons lors de notre progression. Mais une autre surprise nous attend... Alors que nous partions récupérer un deuxième groupe de juments, nous apercevons au haut d'une montagne un troupeau de chèvres. Nous voilà, Bertrand et moi, investis de la lourde tâche de ramener les juments jusqu'au puesto tandis qu'Alexis ira déloger les chèvres pour les descendre au puesto. Il nous faudra près de deux heures pour accomplir cette mission avec un sentiment de responsabilité et de liberté comme j'en ai rarement connu ; seuls avec une vingtaine de chevaux avec pour toute indication de route de descendre vers la vallée. Tout simplement inimaginable. Après un déjeuner tardif (Bertrand et moi sommes arrivés au puesto vers 15h00) nous aidons Alexis et son frère Leo à sortir les bêtes du corral et les faire boire, puis assisterons à une séance de marquage où des amis sont venus prêter main forte. Le travail se fait dans les rires et les démonstrations de technique de lasso, au milieu de la poussière, de la fumée des cuirs brûlés, des aboiements des chiens et toujours ce soleil étincelant de la montagne.
Le Marquage
Nivaldo et Gladys nous ont proposé de rester dîner avec eux, au puesto. Allongés autour du feu sur nos peaux de mouton, nous surveillons la viande qui grille (les chiens ne sont pas loin) et entonnons quelques refrains. Bientôt les accords des guitares arrivent à nos oreilles, Nivaldo et son beau frère ont improvisé un concert privé. Hésitant à interrompre ce cercle familial, nous sommes accueillis avec le sourire et bientôt les femmes présentes sont invitées à danser au son des ballades traditionnelles de la région. Nous passerons une soirée inoubliable, admis dans le cadre intimiste d'une simple soirée familiale.