Mercredi 11/07 : En Route vers l'Amérique
Je fais la rencontre du groupe avec lequel je vais voyager pendant trois semaines, à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, avant d'enregistrer mes bagages jusqu'à Lima, capitale du Pérou.
La compagnie néerlandaise KLM nous conduit de Paris à Amsterdam, et de là, nous prenons un autre avion pour Lima. Durant ce long vol d'environ treize heures, avec une escale à l'île d'Aruba, possession néerlandaise au large des côtes vénézuéliennes, j'ai pu mettre à profit mes connaissances en espagnol. Et ce, grâce aux quelques Péruviens qui m'entouraient, notamment ma voisine de gauche, charmante Limeña (habitante de Lima), originaire de Huancayo, ville moyenne des Andes centrales.
En dehors de certaines banalités, nous avons abordé des thèmes plus sérieux comme l'actualité politique de ces derniers mois au Pérou, ou encore la mauvaise santé de l'économie du pays. La récente élection d'Alejandro Toledo à la présidence de la République constitue une bouffée d'oxygène pour un peuple écoeuré par les scandales de corruption de sa classe politique. Mais cette nouvelle vague d'espoir soulève encore bien des incertitudes, au Pérou comme à l'étranger.
J'ai également fait la connaissance de Michael, Limeño de dix-huit ans qui a quitté sa ville natale à l'âge de quinze ans avec sa famille, afin d'effectuer ses études à Turin. Même s'il a une mine patibulaire de prime abord, le bonhomme se révèle être sympathique. Mais en écoutant son histoire, je ne peux m'empêcher de faire la moue, songeant à cette élite péruvienne qui constitue peut-être cinq pour-cent de la population, et qui envoie ses petits chérubins étudier aux Etats-Unis ou en Europe. Au final, on aura un cerveau de plus pour l'Italie. Et un de moins pour le Pérou.
Après neuf heures de vol, nous faisons escale à Aruba, petit caillou de cent mille habitants entouré par des plages et sous domination hollandaise. Cette relique des temps coloniaux constitue un petit îlot de richesse (relative) parmi la zone caribéenne, et beaucoup de ses habitants n'échangeraient leur statut de Hollandais pour rien au monde.
Nous n'avons pas le temps de faire connaissance avec les autochtones de l'île, et nous restons cantonnés dans le petit aéroport. Là, je rencontre un Polonais d'environ vingt-quatre ans qui vient de finir ses études. Dans la langue de Shakespeare, nous parlons Amérique du Sud. J'apprends qu'il va partir deux mois rouler sa bosse à travers les Andes, entre le Pérou, l'Equateur, la Colombie et le Venezuela. Des amis l'attendent en Colombie, mais j'admire tout de même ce genre de grand projet aventureux, en solitaire, avec un sac à dos. Il n'a pas réservé l'hôtel à Lima et espère trouver une chambre libre dans un hôtel bon marché. Il n'aura plus qu'à sauter dans un taxi à l'aéroport de Lima, et partir à la recherche du lieu où il va passer sa première nuit au Pérou.
La dernière partie du voyage commence, il ne reste plus que trois heures et demi de vol pour atteindre notre destination. Même si je suis assis en plein milieu de l'avion et qu'il m'est donc difficile de voir le sol à dix mille sept cent mètres sous nos pieds, je suis excité à l'idée de savoir que nous survolons l'Amérique du Sud, ce continent où le mot aventure a encore un sens. Nous survolons la Colombie, et notamment Bogotá, cette métropole tentaculaire et anarchique de près de huit millions d'habitants. Quelle drôle de sensation de savoir que j'irai peut-être passer quelques mois d'études dans cette ville turbulente mais non dénuée de charme. Suite aux injonctions de ma voisine, le voisin de Michael qui bénéficiait d'un accès au hublot, me cède sa place. "Es la primera vez para él" (c'est la première fois pour lui).
A plus de dix mille mètres du sol, il est difficile de distinguer précisément les paysages, même avec la meilleure paire de jumelles, et encore moins avec mon appareil photo et son zoom 28-80. Mais néanmoins, je devine que nous survolons les llanos colombiens, ces basses plaines encore sauvages où s'entremêlent des bras de l'Amazone. Il faut dire que cela m'aide bien de voir le tracé de notre avion, sur les petites télés situées dans les couloirs de l'appareil, sans quoi il serait impossible de se repérer. Nous sommes passés au-dessus du tumultueux Putumayo, département du Sud de la Colombie, voisin avec l'Equateur. Recouvert de forêt vierge, abritant tout comme les llanos des affluents de l'Amazone, fleuve qui prend sa source au Pérou, le Putumayo est souvent décrit par la presse comme un réservoir de coca, de cocaïne, de guérilleros et de paramilitaires. Un tableau apocalyptique pas si éloigné de la réalité.
Et nous finissons enfin par atterrir à l'Aeropuerto Internacional Jorge Chávez de Lima, Perú. Une fois nos sacs en mains, nous nous dirigeons vers la sortie (quelle logique imparable !). Dans le hall des arrivées, une foule de gens semble nous attendre, massée derrière des filets de sécurité. Beaucoup tiennent une petite pancarte avec marqué dessus le nom de celui ou celle qu'ils attendent. Je n'ai pas trouvé mon nom, même pas un Felipe. Quelle tristesse de savoir qu'après un aussi long et fatigant voyage personne n'est là pour vous ! Il nous faut nous frayer un passage à travers la cohue ambiante, dans cette foule pleine de vie et d'espérance. Une fois tous dehors, nous trouvons notre chauffeur, la bonne âme qui est chargé de nous conduire à notre hôtel. Finalement il y en avait au moins un pour nous. Mais cela n'empêche pas plusieurs personnes de nous demander "¿taxi?" Là où j'ai répondu "no, gracias", le Polonais dira "si".
Nous montons dans notre petit bus, et l'aventure est lancée ! En regardant par ma fenêtre, je prends peu à peu conscience de ce à quoi peut ressembler une métropole latino-américaine de près de huit millions d'habitants et où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il fait nuit à cette heure-ci, c'est l'hiver au Pérou. Partout des lumières le long de la autopista, des vendeurs, des vendeuses, des gamins, des laveurs de vitres. Et un trafic intense avec des coups de klaxons qui jaillissent de partout. Les immeubles et les maisons plus ou moins bien entretenus, plus ou moins délabrés, défilent sous nos yeux tout grands écarquillés. Ironie du sort, mon premier contact avec Lima, "ce n'est pas le Pérou", la ville me paraît plutôt effrayante, sale et laide. Mais je me garde de tirer un jugement trop hâtif, je suis fatigué, c'est la nuit, ce sont les abords de l'aéroport. C'est une partie restreinte de Lima, à un temps donné, il est donc trop tôt pour tirer des conclusions sur la ville. Il me faudra attendre la fin de mon voyage et la rencontre avec une fille, pour découvrir un autre Lima, beaucoup plus beau et plus attachant.
Et j'ajouterai, que devant ce panorama plutôt chaotique, je me prends à sourire. De peur, d'extase, de dégoût, d'émerveillement, un peu de tout cela à la fois. Peut-être étais-je entrain de trouver là un peu de ce que je cherchais : l'Aventure. Lima avait cette odeur du fruit trop mûr qu'on a envie de dévorer.