Le bilan de l'aventure

Nicolas Sturaro

Il y avait au-delà de l’aventure maritime, de l’immensité insaisissable de l’océan pour ma petite âme de citadin, de la machinerie industrielle, de réalité du fret économique mondial, de l’austérité à bord de la vie des marins philippins et croates loin des leurs, de l’aisance technologique de la navigation, il y avait, et ici j’entrouvre le masque quelque peu, une introspection, une prise de distance, une rupture, une attente. Ai -je pu satisfaire une partie de mon insatiable interrogation humaine au cours de cette courte épopée sur le dos de l’atlantique nord ? Est-ce que ces longs moments de contemplation de la magie dansante des vagues, ces mouvements de surf de la coque du Manet sous mes pieds pendant huit jours, ces inquiétudes parfois ressenties lorsque l’océan dessinait l’ampleur de son incommensurable force sous les reflets troublants de la pleine lune, ces rares et libres pensées délivrées par le vol des seaeagles au raz des moutons de mer, ces sourires donnés par le déséquilibre indomptable de mes jambes, est ce que tout ça a été un révélateur ? Comment ressentir toute l’ampleur de cette aventure espérée depuis ces 10 dernières années et heureusement aboutie à cette heure ? J’ai envie de dire que j’aurais tant aimé rester sur le pont de ce porte containers pour y faire un tour du monde, peut être un, peu être deux, peut être plus. Comme cela semble si trivial pour ces marins dont c’est le presque banal quotidien, le travail, le gagne pain. Mais cela aurait-il été suffisant ? Aurais-je été capable de saisir avec plus de sens la grandeur de cette planète ? Aurais-je pu ouvrir plus mon cœur à la beauté de cette vie, à cette chance sans sens de cette existence ? Aurais-je été plus à même encore de ressentir les sentiments de ceux qui m’aiment ? Aurais moi été plus lucide pour accepter l’évidence de mes propres sentiments ? Faut-il chercher dans l’immensité de l’océan la grandeur de ses propres sentiments ? Ne serait ce pas un leurre que de mettre en face son âme et la nature ?

Ces questions la me semblent interminables. C’est pourquoi l’aventure continue. Je sais que celle-ci fut voulue, nourrie et profonde. Les attentes fébriles n’ont pas été comblées comme prévues. Toute la magie du voyage répond justement en ce que les surprises qui le constituent et les différences avec les a priori que nous en avions. J’ai vu dans le reflet de mes yeux ce soir que celle ci a compté. Les fruits de cette transatlantique ne sont pas encore récoltés.

Une vidéo de la traversée :