En route vers l'Ouest

De Erzincan pour Malatya

A ERZINCAN, où nous aurons bien du mal à stationner pour une opération ravitaillement alimentaire, nous obliquons en direction d’ARAPGIR. Notre intention, avant de rejoindre MALATYA, passer par DIVRIGI, petite ville perdue dans les montagnes, mais qui recèle un trésor architectural : une « mosquée-hôpital » du début du 13ème siècle, classée au patrimoine mondial de l’Unesco.
La route que nous venons d’emprunter se révèle étroite et sinueuse, mais dans l’ensemble assez correcte. La circulation y est pratiquement nulle, les paysages traversés sont fantastiques. Nous côtoyons la ligne de chemin de fer qui relie l’est du pays à la capitale ANKARA, et le cours de l’EUPHRATE qui a creusé des gorges vertigineuses. A ILIC, petit village sur notre parcours, un poste de contrôle policier nous invite fermement à modifier notre itinéraire en prenant une route qui, sur la carte semble peu engageante, mais qui se révèlera (en dehors des 20 derniers kms) être l’un des rares tronçons routiers dont les travaux sont arrivés à terme. La dernière partie tempèrera les bonnes impressions de la première, et nous permettra de mieux comprendre pourquoi les policiers nous engageaient à ne pas traîner pour arriver à DIVRIGI avant la nuit. Depuis notre retour vers l’ouest, nous avons bien regagné un peu sur l’heure du coucher du soleil, mais à 8 heures, il fera nuit. Malgré son étalement d’est en ouest, toute la TURQUIE est dans le même fuseau horaire. De plus, celui-ci est le même qu’en GRECE. Conclusion, il fait nuit à 7 heures à DOGUBAYAZIT, mais à 9 heures seulement fin mai à ISTANBUL. La circulation nocturne étant interdite dans cette région (toujours la zone sensible), il vaut mieux trouver son point de bivouac à temps. C’est encore une station qui nous hébergera, à l’entrée de DIVRIGI.

La MOSQUEE-HÖPITAL de DIVRIGI

Laissant le camion à la garde  de la station, nous rejoignons à pied le centre de la petite ville. La rue principale, très animée, est aussi l’artère qui rassemble tous les commerces, de la banque à la quincaillerie. Curieusement, nous croisons beaucoup de femmes vêtues à l’européenne et tête nue. Cela confirme les informations de notre guide touristique. Les « alevis »,  qui constituent l’essentiel de la population de cette ville ont une lecture différente de l’islam. Quel changement avec l’est où le fondamentalisme traditionaliste transparaît à travers le comportement des hommes et la tenue vestimentaire des femmes.
A DIVRIGI la Mosquée-hôpital, construite en 1228, se distingue de toutes les autres mosquée du pays par l’ornementation excentrique de ses différentes entrées. Alors que les autres mosquées affichent une sobriété absolue, tant de leurs façades qu’à l’intérieur des bâtiments, celle-ci se pare d’une foison de décorations. Motifs floraux et géométriques se mêlent et s’entrelacent sur chacun des portails. On aime, ou on n’aime pas, mais on ne peut rester indifférent.. 

La mosquée hôpital

Chantier routier

De DIVRIGI, nous prenons la direction de MALATYA. Pour cela, nous empruntons la route 260 qui mène d’abord à ARAPGIR. Route bien indiquée sur notre carte routière, et que confirme la signalisation. Début prometteur (4 voies), mais ça ne dure pas longtemps. La large route bitumée laisse vite la place à un chemin stabilisé. Nous pensons qu’il s’agit encore d’un chantier d’aménagement de la route. Plus on avance, plus le chemin ressemble à une piste pour véhicule 4X4. Nous traversons un village dans lequel les rétroviseurs balaient les façades des masures. Un peu plus loin, une fourche, mais pas de panneau indicateur de direction. Evidemment, nous ferons le mauvais choix, mais ne pourrons nous en rendre compte que bien plus loin. Demi-tour ! Bien plus loin, une voiture est arrêtée. C’est la première que nous rencontrons depuis plus d’une heure, mais c’est aussi l’occasion de cherchUn chantier routierer à savoir si nous sommes bien sur la bonne route (piste). Dialogue difficile, mon anglais ne passe pas, mon interlocuteur semble découvrir l’existence des cartes routières, mais il a un téléphone portable qu’il s’empresse d’utiliser. Qui appelle-t-il, que demande-t-il ?  Nous ne le saurons pas, et poursuivrons notre chemin. Un peu plus loin, nous sommes arrêtés par un chantier qui nous interdit provisoirement d’aller plus avant : mise en place de buses qui doivent traverser le sous-sol de la piste. Aucun panneau nulle part pour annoncer des travaux et la route barrée. Le chantier démarre juste, ils commencent à peine à creuser la tranchée, mais nous font comprendre que nous n’avons que le choix d’attendre la fin des travaux ou de faire demi-tour pour aller prendre une route qui nous fera faire un détour de plus de 150 Kms. Au point où nous en sommes, nous choisissons d’attendre. Le responsable a parlé de 2 heures. Bien vu ! C’est ce qu’il nous a fallu patienter avant qu’il ne se rende compte que les deux buses mises bout à bout ne permettaient pas de traverser la route. Dilemme. Concertation entre les membres du chantier. Pas d’autre buse à disposition. En deux heures, la file d’attente ne s’est allongée que de trois véhicules, mais l’impatience gagne du terrain. Finalement le responsable, sous la pression des usagers de la route, fait remblayer un espace permettant le passage des véhicules. Nous sommes enfin libérés.

La deuxième partie de la piste jusqu’à ARAPGIR se révèlera encore plus mauvaise que la première, avec des pourcentages de montée tels que dans certains virages, c’est tout juste si les roues motrices avant accrocheront sur le revêtement caillouteux. Nous passons un col à 1840m d’altitude et retrouvons les paysages de l’extrême est du pays, avec ses troupeaux de bovins et leurs gardiens vivant dans des yourtes. Des familles entières sont réunies dans ces tentes regroupées en village. Les enfants sont là aussi ! Ce n’est pourtant pas encore la période des congés scolaires. Juste avant ARAPGIR, nous rejoignons une vraie route ! Il nous aura fallu plus de quatre heures pour faire 80 kms. Notre confiance relative aux indications figurant sur notre carte routière est de plus en plus ébranlée, particulièrement en ce qui concerne la catégorie des routes.

Le NEMRUT DAGI

De ARAPGIR nous descendons plein sud en direction de MALATYA, puis toujours plein sud jusqu’à GÖLBASI où nous obliquons vers l’est pour rejoindre ADIYAMAN et KAHTA. Au cours de la traversée de KATHA nous sommes pris en chasse par un fourgon aménagé en « dolmus » (les minibus, extrêmement nombreux, qui assurent, en Turquie, les liaisons de faibles distances entre les localités). En nous dépassant, le chauffeur nous fait signe de nous arrêter. C’est le propriétaire d’un hôtel-camping qui, après nous avoir questionnés sur notre destination (tous les touristes passant par là se rendent au « Nemrut  Dagi »), nous affirme que nous ne pourrons jamais « monter » au site avec notre camping-car, qu’il peut nous héberger et qu’il nous y conduira lui-même avec son véhicule. La lecture des guides nous ayant prévenus de ce genre de démarche, qui se traduit toujours par un investissement financier conséquent, nous déclinons sa proposition et continuons notre route. Il est vrai que tous les documents consultés et les rapports de voyages de camping-caristes font état de la difficulté pour les gros véhicules d’accéder au site. Nous avons décidé de tenter quand même l’aventure. Pour ce soir, nous allons faire halte dans un camping, ou tout au moins, ce qui en tient lieu, le « Carden Camping » de DAMLACIK. Le Nemrut, ce sera pour demain !

La matinée est consacrée aux visites du pont romain en dos d’âne franchissant la rivière Cendere, et de la forteresse moyenâgeuse dominant le village d’ESKI KAHTA.L’attrait et l’intérêt de ce pont remontant au 2ème siècle restent très relatifs depuis sa reconstruction récente, suite à son écroulement provoqué par un camion citerne. La circulation a bien été détournée sur un nouveau pont construit à proximité, mais le pont d’origine a perdu tout son cachet. La reconstitution est peu crédible, seules les colonnes tentent de nous y faire croire.A quelques kilomètres de là, les ruines d’un château mamelouk du 13ème siècle apparaissent comme beaucoup plus authentiques. Du haut des remparts on découvre un paysage fantastique, insoupçonnable d’en bas. C’est l’instit du village qui nous a accueillis à la descente du camion. Pour cela, il n’a pas hésité à quitter sa classe (bâtiment à droite du cliché) et à aller chercher la personne qui détenait les « clés » de la ruine.

Pont d'Eski KahtaVillage d'Eski KahtaVillage d'Eski Kahta

L'après-midi, après le repas pris au restaurant du camping, nous prenons la direction du « NEMRUT DAGI ». Nous sommes suivis par une jeune femme hollandaise, rencontrée au camping, qui visite la Turquie, seule, en fourgon aménagé. Sa décision de nous suivre a fortement contrarié le fils du propriétaire du camping. Celui-ci lui avait affirmé qu'elle ne pourrait pas effectuer l'ascension du « Nemrut » avec son fourgon et avait proposé de l'y emmener avec son 4X4. Ce n'est pas sans une certaine appréhension que nous abordons le dernier tronçon de 6 kms, de sinistre réputation. Et là, peut-être la surprise la plus heureuse du voyage : La voie d’accès au sommet du NEMRUT DAGI est carrossable de bout en bout ; le revêtement, constitué de pavés, est récent et parfaitement réalisé.

L’enfer promis est devenu une promenade de santé. Ca monte dur par moment, mais ça passe facile. Nous n’avons jamais eu besoin de passer la 1ère. Une pensée pour les harceleurs de tout poil qui espéraient nous récupérer. De plus, le temps est superbe, la température clémente (nous sommes quand même à 2000m.) et il n’y a pas de vent. Les dieux auxquels a été dédié le site sont avec nous. Peut-être de quoi faire des jaloux parmi ceux qui ont galéré pour parvenir jusqu’ici. Arrivés au parking, nous sollicitons l’autorisation de passer la nuit sur place, ce qui nous est accordé sans hésitation. Nous nous installons à côté des caravanes de la « Gendarma », qui sont d’ailleurs inoccupées, calons les camions pour récupérer un peu d’horizontalité, et entamons la dernière partie de l’ascension qui ne peut se faire qu’à pied.

Sur le chemin du sommet Nemrut DagiSur le chemin du sommet Nemrut DagiSur le chemin du sommet Nemrut Dagi

Le NEMRUT DAGI - Suite

A propos, le Nemrut Dagi, qu’est-ce que c’est ? Avant tout le nom d’un sommet montagneux (il y en a un autre du même nom à l’ouest du lac de Van). Mais celui-là a la particularité de voir son sommet occupé par un immense tumulus de pierres concassées (150m de diamètre à la base sur 50m de hauteur) censée renfermer, à la façon des pyramides, le tombeau d’Antiochos 1er, roitelet mégalomane du 1er siècle avant J.C. De part et d’autre du tumulus, s’étalent des terrasses sur lesquelles sont installées de monumentales statues représentant les dieux auxquels le roitelet s’identifiait. Les caprices de la nature (tremblements de terre) ont fait que les statues ont été décapitées, les trônes en partie éparpillés, et le tout camouflé par une végétation dense qui recouvrait l’ensemble. Ce qui explique que le site n’a été découvert qu’à la fin du 19ème siècle(en 1883), pris en compte sur le plan archéologique dans la deuxième moitié du 20ème, les fouilles n’ayant commencé qu’en 1953, et ouvert au tourisme, après un grand chantier de mise en valeur, qu’assez récemment. Le tombeau n’a toujours pas été situé, les têtes ont été relevées, les trônes de la terrasse ouest reconstitués, et l’ensemble du site aménagé pour l’accès des visiteurs. Il restait à revoir la route d’accès : c’est fait.

Tombeau d'Antiochos

Tombeau d'AntiochosTombeau d'AntiochosTombeau d'Antiochos

A l'heure à laquelle nous sommes arrivés, en milieu d'après-midi, le nombre de visiteurs se comptait sur les doigts d'une main. Les organismes de tourisme ou les dolmus des hôtels de la région n'emmènent leurs clients que dans l'heure qui précède le coucher du soleil ou son lever. Le temps nécessaire pour accéder aux terrasses, admirer le travail des sculpteurs, et assister soit à l'illumination du site le matin, soit à sa plongée dans les ténèbres le soir. Il est bien vrai que lorsque ces colosses de pierre sont frappés par la lumière rasante des rayons du soleil, ils prennent une autre dimension. De plus nous dominons tout le paysage alentour. C'est un spectacle qui vaut le déplacement.

Coucher de soleil

Apollon perdu dans ses penséesAu soleil couchant, le site prend une autre dimensionZeus observant      l’immensité