Ligne d'arrivée

Samedi 4 juillet, pas de chien cette nuit, réveillé par les mouettes et la musique de ma radio : de l'eau qui coule, une flûte, une guitare, c'est très doux et planant. Des annonces commerciales ensuite en turc : isolation, téléphone... Ça casse l'harmonie ! Le bréakfast aux frais du sultan. Je rentre dans ce que je crois être un salon de thé cafétéria. En fait, je m'introduis dans le buffet de l'hôtel de luxe Sarkecy Kanak Hôtel où le bréakfast est servi aux clients de l'hôtel. Que faire ? On ne me demande rien. Je reste et me sers un petit déjeuner bien copieux au milieu des anglais touristes. Une expérience drôle et intéressante. En bateau vers Kapikoy, ça démarre, ça tangue. Un çai dans la cabine, le plateau rond pour écrire et la mer, le paysage qui défile par la fenêtre, les bateaux, les îles au loin. Je me laisse emporter, la vie comme un long voyage... Les mouettes nous accueillent sur la jetée de Kadikoy Sokelesi. Je respire dans les rues pas trop fréquentées jusqu'à Fenerbahce où je trouve un ferry en partance pour Princess Islands. Encore un départ, encore un voyage, encore un ferry sur une mer turquoise. À l'arrivée, des parasols, des terrasses de restaurants bondés le long de la mer. Des maisons de style colonial colorées, des rues tranquilles et dans le village, les voitures remplacées par des calèches et des vélos, pleine de fleurs, des lauriers-roses, on croit rêver à deux pas d'Istanbul. Sur ces chemins dans les pins dominant la mer et les criques après les rues grouillantes et bruyantes d'Istanbul, c'est vraiment le paradis. À la plage de Kir-Gazinou, 20 TL l'entrée, je reste au bar sous les pins et le concert des cigales. Le tour complet de l'île en calèchecorniche. Magnifique. Je fais la course avec les vélos mais comment lutter avec leur vélo VTT plus lourds mal réglés et moi bien entraîné. Même, j'accompagne des calèches et leurs chevaux rutilants. Certains même me rattrapent galopant dans une côte. Obligé de relancer. Au départ des calèches alignées sur une grande place, j'ai failli me faire renverser par une lancée vers moi ! Où je ne peux échapper au paradis. Je n'arrive pas à trouver le départ sur les quais pour Fenerbahce. Du coup, j'attends au café Mado un possible retour, en terrasse comme une péniche. Un friand fourré aux pâtes pas mauvais. Enfin je l'ai trouvé. C'est Karakoi qui m'enlève du paradis. Derrière les grilles, c'est un peu le Purgatoire à l'envers. Il faut le mériter et il fait chaud et les dames vêtues de leur longue gabardine et de leur foulard ou dans leur robe noire doivent y transpirer avant de pouvoir en sortir. Des lunettes blanches rondes sur une robe noire comme une lune dans la nuit. Mustapha le libyen. Sur le ferry, je rencontre cet homme seul qui visite Istanbul pour la première fois venant de Libye. On discute religion, règles. Toujours cette barrière qu'il semble mettre entre Islam et autres religions, entre lui et moi. Assez secret. Veut-il me convertir ? Que fait-il seul à voyager suffisamment riche pour le faire. Fait-il la fête dans les boîtes d'Istanbul ? Car alcool et sexe qui sont interdits dans les règles de l'islam, il ne semble pas s'en priver... J'aurais aimé prolonger cette rencontre. Il se perd noyé par la foule. Difficile séparation. La vie qui unit et sépare.
voyageursLa table des quatre apôtres au Han restaurant où une femme à l'entrée agenouillée prépare sa pâte en galette ronde. Côté tapis sofa ou côté table. On choisit cette partie de la salle. À Paul, Kevin et moi, s'est donc joint un quatrième : Pierre, un suisse arrivé aujourd'hui. Bon vivant, les pattes d'oie lui font en sourire autour des yeux lorsqu'il se met à rire. On partage les plats : feuilles de vigne farcies, galette roulée, poisson, riz, viande ragout sur un réchaud. On partage nos envies, nos souvenir de voyage en vélo, une certaine philosophie de la vie, de la Terre à préserver, des richesses à mieux partager pour vivre mieux ensemble. Difficile encore de se séparer devant les remparts de Topkapi "Good luck, Good trip. Continuez bien les gars. Profitez bien de vos deux années" pour Kevin, Pierre, il ne sait pas encore et toi Paul, ce fut un grand moment inoubliable notre arrivée sur Istanbul, je lui dis, profite de tes cinq ans de tour du monde, cinq années de ta vie, c'est si long, sois prudent. La vie qui unit, la vie qui sépare, c'est cruel mais c'est ainsi.

Mosquée bleueDimanche 5 juillet, toujours les mouettes qui caquettent et semblent me dire : il est temps de te lever, c'est le jour du départ. Bye Bye la chambre 207. Le patron pas très sympa esquisse quand même un sourire en signe d'au revoir. Photos de la sublime porte. Retour à Sainte Sophie. Photo devant la mosquée bleue. Les touristes commencent à affluer. Je trouve mon Libé au kiosque du coin. Dernier tour au Derwish café, musique entraînante La Laia Lala ou mélancolique orientale sous les platanes avec vue sur les minarets de la mosquée bleue cachée par un gros cyprès. Me voit-elle déjà partir se couvrant d'un voile de chagrin comme ce groupe de femmes et leurs foulards très colorés. Le stress, le tract avant le départ pour Atatürk. La bataille promet d'être rude. Dernier regard sur Sainte-Sophie, la mosquée bleue comme deux soeurs jumelles me regardant partir. La ligne du tramway Les ferries au port de Le pont, les restaurants. Large avenue le long du. Heureusement aujourd'hui dimanche un peu moins fréquentée. Les familles commencent à s'installer sur les pelouses pour pique-niquer. Je demande plusieurs fois ma route Atatürk Airport. Apparemment, je suis sur le bon chemin. Enfin, une indication en haut d'un viaduc. Bretelle et hop c'est parti sur la quatre voies. Toujours ces dépassements dangereux de voitures qui se rabattent devant moi aux sorties. Je tend le maire mais c'est pas très efficace. Par moment, j'atteind les 50 km heure dans une descente mais c'est très stressant.
Enfin, au loin, deux minarets comme des bras levés en signe d'au revoir, en signe d'espoir : Inch Allah, tu es bien arrivé. Une sortie et hop, c'est l'entrée dans Atatürk à 11 heures 33, j'y suis après 21 km très très longs ! L'enregistrement des bagages, l'empaquetage de mon vélo, le passage à la douane, après deux heures de temps, je suis enfin arrivé au bout de ce parcours du combattant. Assis au Greenport, table en comptoir devant les duty-free produits de luxe, les voyageurs vont et viennent, des touristes sacs à dos, valises à roulettes, poussettes, simple sac à main, petit caddy s'arrêtant au duty-free, flanant en attendant leurs vols ou continuent leur route d'éternels voyageurs. La salle d'embarquement et très vite Lyion annoncé dans l'avion, assis à 14 h 40. Avion presque vide. Jusqu'à la piste du décollage, on passe en revue les grands oiseaux : Gulf Air, Turkish Air Lines, Baltic Atlas Jet, Onuran, MNG Cargo, ULS Cargo, Tarhamair, Air Slovakia ... Les avions en enfilade devant nous prêts à décoller. Notre tour, les moteurs poussés, décollage du sol, soulagement, l'autoroute de mon arrivée continue son ballet incessant de voitures. La mer puis au-dessus des nuages petits icebergs blancs suspendus dans le ciel. Vivaldi Allegro. Le concert semble bien parti. Adagio. Les icebergs projettent leurs ombres sur le patchwork infini de champs, de rivières, de villages. Des montagnes aux minuscules névés. Des villages se glissent dans leurs vallées encaissées. Et puis l'Ave Maria, voix sublime et douce. Et le patchwork à nouveau comme un vibrato vers les aigus des notes de couleurs vert, ocre. Petit somme, petit flash-back sur quelques moments forts : la montée des oliviers de Delfi, l'épicière de Dorkada, la marchande de glace de Malkara, l'arrivée historique et ô combien houleuse avec Paul dans Istanbul. La côte Adriatique, ses îles et ses presqu'îles posées, assemblés comme une carte et puis la brume qui unit les souvenirs avant de retrouver le bleu sans conteste.
Une rivière se love comme un serpent dans un vert tendre. La descente déjà. De la neige comme un mirage sous les nuages. Le lac d'Aix les Bains ? Le grand Rhône vert. L'atterrissage bientôt. On a bien fait le voyage ? Les villages de plus en plus près, la mosaïque de verts et de bruns. Le bus qui m'emmène retrouver les montagnes, mes campagnes délaissées : Vercors, Chartreuse et Belledonne avec quelques névés encore. La caravane Pacouli, le cirque Pinder à Grenoble. Pour traverser Grenoble, avec mon vélo, mon chapeau et tout mon barda, c'est l'arrivée en fanfare. Ce matin à Istanbul, ce soir à Grenoble, ça semble irréel. Deux gars sur un vélo sont impressionnés par tout cet attirail à qui je crie : "Istanbul" comme si je débarquais d'une autre planète après tant d'aventures, de moments intenses, de souvenirs inoubliables sur la route si agitée mais ô combien exaltante qui mène à Istanbul.

vue de la merLes dernières images …

arrivée à Princess Island

dans mon rêve qui palpitent encore …

mosquée de Sultanahmet