La galère africaine - partie brousse

La plaie

Très mauvaise surprise au matin de mon départ, un cratère infectieux au dessus d'une ancienne cicatrice, une fracture de la jambe réparée deux ans avant à l'aide deux vis chirurgicales. C'est venu comme ça dans la nuit, sans choc ni explication.

Gros bad trip, il va falloir aller à l'hôpital le plus proche. Un extrait de mon carnet va vous montrer comment enfle en deux jours LA VRAIE GALERE AFRICAINE ! « Le matin la douleur ne fit qu'empirer au fil des heures, la plaie déjà impressionnante m'obligea à décaler mon départ pour le Niger et à me faire opérer.

De Gorom, en bon toubab, j'appelai mon assurance pour demander conseil. Ils répondirent, comme je l'avais imaginé, que je devais obtenir au plus vite une consultation dans l'hôpital le plus proche. Selon leurs possibilités, je serais soigné sur place, envoyé dans un autre hôpital voire rapatrié en France pour l'opération. Je bâclai mon sac, confiai mon dromadaire à Amma et me dirigeai vers la sortie de Gorom Gorom.

Le fou

Il était trop tard pour attraper un taxi brousse, je dus marcher. Un enfoiré m'envoya dans la mauvaise direction, et blessé, avec un mal de chien, mon sac et mon didjeridoo (la branche d'arbre creuse qui fait de la musique en Australie) sur le dos, je fis un détour de deux kilomètres pour parvenir à mon but.

Je prie maintenant pour qu'une occasion de partir se présente à moi, je suis au bord de la route. Rien aux alentours, à part la nature. Les motos se font ici plus que rares, mais je dois absolument décoller de sous mon arbre avant ce soir. Parce que rentrer en ville, ça ne sera pas plus facile. Il doit être 11 heures, nous sommes un vendredi dans les premières dates du mois de septembre 2007 et je suis dans une merde profonde !

La galère africaine... J'entends déjà ma petite maman me faire des reproches, genre « Tu aurais du te faire opérer plus tôt, avant ton départ en Afrique ». Je plaisante, de toute façon, mes voyages m'empêchaient de penser à cela, il fallait cette douleur pour me le rappeler.

Enfin bon, comme je le dis toujours, les épreuves nous renforcent, « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », et cette phrase est plus vraie que tout au monde !

Courage, voici un motard qui va vers Dori. Bien que très chargé, il accepte de me prendre. Avant lui, je n'avais jamais vu quelqu'un porter un casque (plus tard, je comprendrai pourquoi !).

Premier passage d'eau, un mètre de hauteur avec un foutu courant bien violent. 3000 Francs CFA pour le passage, ils ne s'emmerdent pas les porteurs de motos.

Quelques dizaines de kilomètres plus loin, alors qu'on roule à très vive allure, le sort s'acharne sur moi, c'est la crevaison - et ça a failli être la chute. La réparation qu'il avait faite avant de quitter sa maison s'était gâtée comme on dit ici.

Et ça recommence, me revoilà au cour de la brousse avec une moto crevée, un petit air de déjà-vu d'un plan d'il y a pas si longtemps. Mais cette fois-ci, avec une blessure au pied et sans aucun vivre. Pour couronner le tout, plus une clope, JE REVE !!!

Le chauffard m'abandonne avec nos sacs pour essayer de faire réparer son engin, quelque part. je suis seul.

Pas le choix, je patientai plusieurs heures, sous le soleil ardent de midi, sans ombre, sans bouffe, sans RIEN !

Il revint vers 15 heures, 3h30 d'attente, et nous avons pu reprendre notre route.

Grosse surprise, alors que nous ne passons que 30 cm d'eau, nous dérangeons un petit crocodile d'un mètre.

Depuis un accident de moto dont je ne vous ai pas parlé, j'étais devenu un peu anxieux à l'arrière des deux-roues. Même sans ça, sa conduite ne me rassurait vraiment pas, depuis le début. Sa vitesse devenait réellement dangereuse sur ce terrain difficile, et nous manquâmes par cinq fois de chuter au sol ou de nous prendre un bouf.

A un moment où son allure devenait réellement trop rapide, je le sommai de ralentir. Je ne sais pour quelle raison, par amusement ou par connerie humaine, il accéléra. Pas question de rester avec ce taré, je lui ordonnai de me stopper ici. J'avais déjà emprunté plus d'une fois des routes de brousse, éventuellement plus vite encore, mais lui ne contrôlait absolument pas son véhicule. Une seule blessure me suffisant largement, je préférai marcher blessé plutôt que de confier ma vie à un dingue.

La brousse : la solitude

Dori était à vingt kilomètres, j’étais sans nourriture depuis 6 heures du matin et maintenant sans eau.

Je pris mon lourd sac et mon instrument de musique et j’allongeai le pas, le visage cramé par le soleil ardent.

Au bout de cinq kilomètres, bien mort avec cette douleur incessante, je calme un peu le jeu, la faiblesse me gagnant.

Une moto allant dans le sens contraire s'arrêta. Le type me demanda si j'avais eu une crevaison, je lui expliquai mes problèmes et, avec toute la gentillesse du monde, il décida de m'aider.

Il attrapa son portable, tenta de joindre plusieurs amis. Un seul répondit J’écoutai mon bon samaritain parler au téléphone, il demanda si l’autre pouvait venir me chercher depuis Dori. Je n’avais que 2000 Francs à proposer pour le service.

Pas de souci, l'ami était d'accord, il ne tarderait pas. Je devais juste marcher en attendant, soi-disant afin de réduire la route à faire. Trop fatigué, je ne mis pas longtemps à m'arrêter sur le bord de la piste, espérant mon sauveur… J'attendis et attendis encore… en vain…

Une petite consolation : des vieux qui revenaient des champs passèrent me dire bonsoir et m'offrirent un peu de lait caillé avant de rentrer chez eux.

J’attendis encore, personne.

Là, j’ai commencé à capter la duperie. A tous les coups, le bonhomme a été bien ennuyé en me trouvant. Pas question de se retaper 50 bornes aller-retour rien que pour moi, il n’a pas eu non plus le courage de m’ignorer, alors il a simulé la conversation, une sorte d’encouragement pour me faire marcher, au sens propre et au figuré. ENCULO DE MIERDA, IRO DE PUTA !!! Et moi qui l’ai tellement remercié, soulagé au plus profond de moi-même !

Déprimé, cassé, je n’avais plus qu’à me remettre en mouvement, encore. Le soleil filait vers l’horizon, la nuit allait bientôt tomber et moi, JE DEVAIS ARRIVER AVANT LA NUIT !

Je mettais un pied devant l’autre, en automatique, sans chercher. J'avais tellement mal aux jambes et au dos, sans doute parce que j’avais trop faim, que ma blessure ne me faisait plus tant souffrir. J’étais un robot, avec une seule chose en tête, un ordre, ARRIVER ! En me traînant, je continuais, avançais, ne pensais plus, je marchais seulement.

Au bout de six kilomètres, je craque et m'écroule sur le bord de la route. La soif, la faim, la douleur avaient remporté ce combat. Pour la première fois depuis bien longtemps, un profond sentiment d'incompréhension, de tristesse et de mépris de moi-même à cause de mon incapacité à atteindre mon but, m'avait envahi, je pleurai de fatigue et de déprime, j’allais dormir là avec mon chèche (le long foulard que les Touaregs portent en turban) pour seule couverture !

Quelle triste journée.

Le village : la bonne étoile

Tout à coup, mon oreille fut attirée par un ronronnement quelque part, un bruit de grosses roues qui se rapprochait doucement de moi. Je me redressai, sans trop d’espoir. Ca devait être un collègue des vieux de tout à l’heure, qui comme eux retournait se reposer chez lui, près de sa famille. Sans me faire aucune illusion, je tentai le coup. D’abord, savoir vers où il va. Pas si facile, il parlait à peine français. M’emmènerait-il à Dori pour 2000 Francs ? Miracle, il accepte. Il devait juste passer au village déposer le bois qu’il transportait.

Ane

Je grimpai, installai mes affaires, un ami à lui et un enfant nous rejoignirent. L'âne et la charrette s'ébranlèrent au rythme du fouet.

Quelques petits chemins, puis nous coupâmes à travers les pâturages. Je ne sais comment ni par quel miracle le conducteur arrivait à se repérer dans cette nuit sombre. Le petit âne gris devait connaître la route.

Une fois entrés dans le patelin de brousse profonde protégé par de petits remparts en bois, nous atteignîmes une grande concession, celle de la famille d'Ali, le charretier. Il détacha les brancards de l'âne, versa le bois et m'enjoint de m'installer. Ali entra dans sa case, en ressortit avec deux oufs, puis dans celle de sa mère d'où il rapporta une gamelle et des braises chaudes : il me préparait une omelette.

Tant de gentillesse, alors que ce paysan ne connaissait pas tous mes malheurs. Dans le noir, je laissai s'échapper quelques larmes, des larmes de joie et d'émotion. Cela ne m'était encore jamais arrivé. Alors que je mangeais, je ne m'aperçus pas qu'il était sorti remplir ma gourde d'eau, il avait pensé que la soif m'avait gagné, une délicate attention parmi tant d'autres.

DEUX opposés DE LA REALITE DE LA VIE DANS UNE MEME JOURNEE.

C'est bien dans les pires moments de désespoir qu'on peut se rendre compte du véritable sens des mots "compassion", "entraide", "générosité", "bonheur", et c'est aussi l'objet de ma quête. YALLA ! Après le repas, en route. Dix kilomètres de brousse, accompagné d'Ali et d'Hablo, l'ami de tout à l'heure. Allongé sur la charrette, le regard tourné vers les étoiles, bercé par les secousses un peu violentes, je m'endormis, serein. Peu avant la ville je sortis du monde des rêves : nous allions arriver, c'était la réalité !

La ville : la décision

Il était minuit. Ali me déposa sur la grande route, le goudron, près de la station essence encombrée d'énormes camions du voyage. Je lui lâchai les 2000 Francs en le remerciant de tout cour pour sa gentillesse.

Les deux oufs n'ont pas calé la dalle qui me creuse depuis ce matin, je fonce sur la table d'une vieille qui vend des pâtes au bord dela route. Pas de chance, c'est sauce piment (très très fort). Avec les quelques pièces qui me restent en poche, j'ajoute un morceau de pain, tout heureux de ce premier vrai repas.

A la station essence, j'avais repéré beaucoup d'étrangers qui dormaient à même le sol, près des camions, sans doute dans l'attente de départs nocturnes. Je me joignis à eux dans la caillasse, qui ne m'empêcha pas de m'endormir en une fraction de seconde.

Là, je dois vous expliquer un truc. Tous les matins, à 5 heures, il y a l'appel à la prière. Et à 4 heures, le muezzin chante pour réveiller les fidèles. Bref, c'est à 4 heures que ça a commencé à bouger vers les camions. Des gens montèrent dans celui qui était près de moi et le chauffeur fit gronder l'énorme moteur durant cinq très très longues minutes, histoire de faire chauffer la bête. Et ils partirent. Enfin seul, un peu de calme, je me décalai jusqu'à un banc et trouvai un petit tapis de sol en paille, une natte. D'un coup, je me dis que ma bonne étoile était rentrée de vacances.

Cela se vérifia encore un peu plus tard, vers 7 heures. A mes pieds je vis deux pièces de cent Francs. La personne qui était couchée là avant moi avait dû les perdre. 200 Francs, c'est un petit-déjeuner tous frais payés. Merci la vie !

« Dans le ciel le plus assombri, il réside toujours une petite éclaircie » (Sour Emmanuelle, en substance). Amen pour ces paroles de vérité.

Le ventre plein, je suis prêt pour l'hôpital - je sais où c'est depuis l'accident de moto. Je trouve une infirmière qui me renvoie vers un médecin chirurgien.

Une radio (9000 Francs CFA, l'argent que je gardais pour un visa) révéla que ma plaie était située bien au-dessus des vis. Mais la cicatrice augmente les risques d'infection osseuse, tout comme le matériel chirurgical d'ici si je me fais opérer. Sinon, ce sera la brousse qui empirera tout. Le toubib se borna à nettoyer la blessure et à m'expédier à Ouaga. En même temps, c'était pas plus mal, carl'hôpital de Dori faisait peur avec sa saleté, les gens qui fumaient de partout, les salles pitoyables. Oui oui, Ouaga, ce serait mieux.

Un bus doit quitter la ville à 12h30, je patiente dans un kiosque (bar extérieur). A la gare routière, je bois un thé que l'on m'offre, en écoutant les rires de mes voisins, surtout quand l'un des vieux se met à bougonner pour une histoire de balais. L'Afrique, quelle histoire !

Dans le bus, je cause avec un Burkinabé qui étudie l'anglais au Mali et espère devenir professeur : mon voyage bien sûr, le système français, Sarko, l'immigration. Il me confirmera ensuite que j'ai éveillé chez lui un désir d'arpenter l'Afrique, le même qui surgit si souvent après ce genre de conversation.

Les grandes idées, les aspirations, les connaissances doivent circuler entre les hommes pour que de nouvelles pensées surgissent et évoluent, que naisse et se transmette un message. Et de nouvelles étoiles apparaîtront dans les yeux des hommes.