La galère africaine - Partie hôpital

L'hôpital de la capitale : l'apocalypse

Avec mon carnet de santé burkinabé et de mes radios, je fis peu de stop-mobylette à Ouaga, un peu de marche, et je pénétrai dans un des grands hôpitaux de Ouaga, OUEDRAOGO (nom à se souvenir).

RIEN NE PEUT EGALER CETTE VISION D'HORREUR.

L'hôpital de Dori, avec ses chiottes dégueulasses et ses chambres tristes à en mourir m'avait déjà semblé épouvantablement sale (c'est peu de le dire). Celui-ci le surpassait violemment : totalement délabré, d'une saleté brutale, des couloirs aux chambres, salles d'attente, bureaux des docteurs etc. Une épouvantable odeur de pisse et de moisi planait partout autour de moi, me prit à la gorge. Dans des pièces, des blessés entassés, avec leurs perfusions et autres cradossités, étalés sur le sol en train de crever, une vision apocalyptique, on se croirait après un tsunami dans les zones les plus touchées. La salle de consultation n'échappait pas à la règle, elle était GORE, pleine de mouches et d'ordures. Ici les médecins portent des gants mais touchent n'importe quoi avec, en plus des patients. Les règles sanitaires de base épinglées au mur se mêlent aux déchets d'autres affiches. de quoi vous rassurer !

IL FAUT ABSOLUMENT QUE JE SOIS RAPATRIE !!!

Je ne pensais pas assister à un spectacle aussi horrible ici, dans la capitale en cours de modernisation. Je suis profondément blessé, jusqu'au fin fond de mes tripes !

J'ai quand même parlé à un docteur : impossible de voir un chirurgien avant demain. Je lui annonce que je n'ai plus un rond (3000 Francs CFA que je gardais pour la survie), prétends ne connaître personne sur Ouaga et être totalement démuni pour le transport etc. Quand il comprend que je ne suis pas qu'un toubab à la vie facile, il finit par trouver son collègue qui déclara forfait et me conseilla de m'adresser à l'ambassade de France pour connaître la procédure de rapatriement. Sûrement qu'eux s'occuperaient de tout.

L'entretien est très long mais on ne m'invite même pas à m'asseoir sur une des chaises. Quelle désinvolture de la part de ces médecins, je me plains pourtant d'une blessure à la jambe !

Image atroce de cette femme étendue, presque écroulée sur le pas de la porte du service traumatologie, le crâne rasé et le visage meurtri, tel celui d'un homme. Les seins nus, tombants, et bouffés par les années de misère, le corps terriblement fin, affaibli par la soif, la famine et le rejet des gens, sale. Chaussée d'un plâtre des doigts de pieds au haut de la cuisse, délabré, à moitié arraché et boueux, dans lequel s'incruste de la terre, cette femme dont j'aurais réellement voulu prendre la photo pour la montrer au monde, n'avait plus rien, manquait de tout, elle semblait faire la manche devant le service, elle attendait peut-être seulement dans l'espoir de voir un médecin, un bourreau !

Alors que je me dirige vers la sortie de l'hosto, je m'aperçois qu'un homme de la sécurité me suit. Quand je regarde sa matraque et celles de ses dizaines de collègues éparpillés dans le bâtiment, je repense à l'énorme dossier « Evadés et disparus » qui décorait le bureau du médecin. Donc dans cet endroit lugubre, il y a même des vigiles pour garder les malades.

Je lui demandai pourquoi il me surveillait. Il en avait reçu l'ordre, il devait me raccompagner, j'étais peut- être un « wake man », un sorcier animiste. C'est mon look, les gens se trompent souvent à mon sujet, parfois ils ont peur. Et avec tous mes bagages et mon didjeridoo, on ne sait jamais, j'aurais pu cacher des armes.

L'ambassade : le mépris

Avec les 300 Francs CFA grattés aux médecins, je choppe un taxi pour l'ambassade. Pas de bol, elle est fermée en attendant l’arrivée d’un nouvel ambassadeur, l’ancien est en vacances et le nouveau pas encore là. Pas mal. Personne à joindre. J’aurais pas cru ça possible.

C’est ce que je répète aux gardes butés qui ne trouvent rien d’autre à répondre que « rien à faire ». Je réclame une personne de permanence, un numéro d’urgence, rien, pas un poil de volonté de m’aider. Je menace de camper devant les portes – ça fera joli, quand le nouvel ambassadeur arrivera. Ça les remue un peu : coup de fil à la gendarmerie qui finit par trouver quelqu’un. Quelques minutes plus tard, un blanc de 35 balais arrête sa grosse moto devant l'énorme portail. Je lui résume la situation, il prend la mouche, trop vert d’avoir été dérangé en plein week-end. Ce n’est pas à moi de lui expliquer son bouleau, c’est à lui de décider si je dois être rapatrié. Je finis par gueuler : arrêtez de me parler comme à un chien, je ne suis pas un repris de justice, je veux juste des instructions claires et objectives. Il s’apaise un peu et me recommande une petite clinique privée pas trop loin. Pas la peine d’espérer qu’il m’emmène, il est déjà reparti sur son engin, il ne peut rien de plus pour moi. Démerde-toi et va boiter ailleurs avec ton gros sac. Les Français des ambassades, appelez-les quand vous n’avez besoin de rien. L’entraide, connaît pas. Absent du dico.

On va essayer d’arrêter une mobylette. C’est un militaire, un gendarme plus exactement, qui m’a aidé à trouver l’endroit, en demandant en moré (la langue des Mocis, langue nationale) aux gens du coin. Pas de réponse précise, il me tend de quoi téléphoner. Le premier télécentre est fermé, mais le garde connaît la clinique des Flamboyants, elle est dans la rue d'à coté.

La clinique : la fin du supplice

Voilà, après deux longs jours de à ramer comme un fou, je suis devant une toute petite, agréable, propre, clinique privée. Avec des bambous et des arbres dans la cour, de vrais toilettes, des jolies infirmières burkinabé qui ont fait des études en France… un coin plus clean que la plupart de ceux de chez nous. Une clinique pour les riches et les blancs qui ont une assurance, ceux qui peuvent se payer le luxe de ne pas aller se suicider à l’hôpital.

En deux-deux, ils contactent mon assurance, bonne nouvelle, je suis pris en charge financièrement. A partir de maintenant c’est… une petite chambre, des savoureux repas occidentaux (purée, steack haché, frites… tout ce qui me manquait !), une douche au seau, certes, mais avec de l'eau chaude et dans une baignoire, et toutes les petites attentions qui font la béatitude du blanc, je plane !

Je profite quelques jours là-dedans, mais ne perds pas mon temps : il y a aussi Julien, un baroudeur à la grande barbe et aux cheveux longs, un ouvreur de squats officiel du côté de chez moi.   Encore quelques achats en ambulance (pas le droit officiellement de sortir de la prison d’or), puis on me trimballe à l'aéroport pour un rapatriement en première classe sur Air France, changement à Paris. A Lyon un taxi devait même m’attendre (ça a pas marché tout de suite, il y avait eu un retard dans la correspondance : nouveaux démêlés avec l’assurance pour trouver une voiture). »

Retour prématuré vers la France

Je suis en France et mon opération est prévue pour demain, vendredi. On va savoir si l'infection a touché des tissus, voire l'os. De toute façon, je serai bientôt sur pied malgré les deux semaines à un mois et demi de plâtre. Mon hôpital c'est à Villefranche sur Saône, si vous avez l'occasion de passer. Sinon, on se voit bientôt sur Lyon avec le Karna et les amis.

Pas trop longtemps, hein, maxi un mois ou deux. Juste de quoi me réorganiser, rassembler le matos nécessaire, chercher des aides financières ou un éditeur. Et le tour du monde reprend, en (re)commençant par l'Afrique sur mon dromadaire. Plus en forme que jamais, je vais repartir après avoir gagné un peu en Espagne avec mes spectacles de feu.

 

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