Du Puy-en-Velay à Saint-Jean-pied-de-port - Saint-Jacques-de-Compostelle

Compostelle en zigzag du Puy-en-Velay à Saint-Jean-pied-de-port.

Intro

De Puy-en-Velay au Plateau de Margeride

Arrivée crépusculaire au Puy-en-Velay, trop tard pour parcourir la vieille ville écrasée d’une immense cathédrale, explorer les chapelles... Aussi juste quelques pas sur le pavage piétonnier, quelque regret à voir cohabiter maisons anciennes et cybercafé … Qu’importe, je ne suis pas là pour faire du tourisme.

Pourquoi partir, alors ? Parmi tous ces pèlerins je me sens impie et décalée. A la messe du matin je baigne en plein néant spirituel, tandis que l’évêque assène : « Abordez ce chemin sans résistance intérieure ! ». Or tout en moi résiste.

Munie de la seule créanciale, je quitte la ville sans bâton ni coquille et rejoins la foule des marcheurs : mystiques, randonneurs, jeune couple accompagné d’un chien … Je croise des campeurs lourdement harnachés, une retraitée pleine d’allant en dépit du portage. Je soupèse son paquetage, mais ployant sous son sac elle me lance: « Certains, sur ce chemin, portent de lourds fardeaux qu’on ne voit pas. »

Sitôt quitté le trou volcanique du Puy on évolue au centre d’un pays de collines bleues semées de lentilles. Rien à voir avec nos sentiers alpins : large chemin caillouteux, pente douce… On prend de l’altitude et la flore se fait presque alpine dans la région du lac de l’Oeuf. Au fil des heures, pourtant, le dos se courbe et le regard penche, on contemple le plus souvent ses chaussures et la terre rouge. Au soir, une descente abrupte scie les genoux.

Chancelante, je songe à R.L. Stevenson qui passait ses soirées dans les auberges à nouer des contacts, entretenir des conversations ou rédiger son Voyage avec un âne dans les Cévennes. Voilà comment j’imaginais mon pèlerinage ! Mais même après une douche réconfortante je suis sans force pour courir les cafés. De surcroît, Saint-Privat d’Allier n’en compte aucun, et tous autour de moi paraissent épuisés, pas un pour converser !

Après avoir traversé l’Allier, cheminé dans une belle forêt d’épineux toute en montées et descentes, je parviens au pays du Gévaudan, territoire de la bête entre 1764 et 1765. Triste plateau, terriblement hostile en hiver, paraît-il ! En pleine canicule on peine à l’imaginer. Paysages et forêts sont sans fin, le soleil implacable.

Au troisième jour de marche, réputé le plus pénible, je songe déjà : «Chaque jour sur ce chemin me paraîtra le plus dur ! » J’ai troqué mes lourdes chaussures de randonnée contre des sandales. La marche gagne en légèreté, mais les courbatures gagnent à présent les mollets, d’autant que l’étape a été menée tambour battant sous l’impulsion d’un randonneur croisé la veille à l’hôtel. Il mène un train d’enfer et je serre les dents, par orgueil ! Par intérêt aussi, étant donné qu’il s’est chargé du ravitaillement.

A l’horizon le plateau de La Margeride, relativement vallonné mais sans dénivelés excessifs. Les champs de céréales et les pâturages alternent avec les collines boisées. Les pommes de pin roulent sous les sandales.

Plateau de la Margeride

  • Et que faites-vous, dans la vie ?

    • Médecin. Et vous ?
    • Oh moi. Dis donc, tu marches vite !
    • Pas trop de courbatures ?
    • Assez, oui ! Et mal aux pieds. On prend quoi ?
    • Arnica. De toute façon, tu sais, on ne tombe malade que si ça nous arrange, ou si on le veut bien !

    Drôle de médecin ! L'est-il vraiment, d'ailleurs ? Au fait il parle avec passion de son métier, de la relation entre maladie et psychisme. Je proteste ; ses cas pratiques paraissent hélas assez convaincants. Le goudron fond sous les sandales, je flageole. Mais grâce aux prescriptions du camarade médecin je carbure aux granules homéopathiques, puisque cela ne m'arrange pas du tout de souffrir.

    A présent je parcours le chemin en milieu de peloton, croisant et recroisant sans cesse d'autres pèlerins. Le couple au chien fait de l'auto-stop. Le malheureux colley a les coussinets en sang, en raison du goudron brûlant. Son propriétaire a d'abord tenté de le porter sur ses épaules, mais décidément l'animal est trop lourd.